vendredi 27 décembre 2002

Oui le pacifisme peut aboutir à des résultats concrets


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°306 de décembre 2002, p.26

Ce livre[1] nous invite à un voyage dans le temps, à une époque cruciale de l’histoire du monde et de la Belgique. Il retrace le combat commun mené pendant douze ans, de 1952 à 1964, par deux hommes dont les parcours très différents se sont rencontrés pour réaliser un projet commun : la revue Routes de la Paix qui deviendra successivement, suite à des interdictions dues à ses prises de position notamment pendant la guerre d’Algérie, Coexistence, puis Paix et coexistence et enfin Carrefour de la paix.

Le premier, Jean Van Lierde, est connu comme la figure emblématique de la lutte pour l’objection de conscience en Belgique. Il entre à 15 ans, en 1941, comme ouvrier dans une usine d’armement ce qui le conduit très rapidement à faire de la résistance. À partir de ce moment, une constante dans son existence sera la désobéissance civile qui se marque de manière spectaculaire par son refus de faire son service militaire en 1949. Après un an et demi de prison, il se voit contraint d’aller travailler à la mine : « C’était réellement le bagne. C’était bien pire que la prison. Je ne voudrais, pour rien au monde, recommencer une telle expérience. (…) Un militant non violent ne peut se taire lorsqu’il assiste à l’exploitation, l’asservissement, l’humiliation dont sont victimes les Siciliens, les Italiens, les Espagnols qui travaillent avec lui. »[2]. Ainsi révolté, et bien que membre de la JOC et de la CSC, Van Lierde fait grève avec la FGTB, désobéissant ainsi à sa hiérarchie. La période qui suit est celle étudiée dans le livre. Après 1964, Van Lierde combattra en faveur de l’objection de conscience et de la Paix. Dans cette dernière lutte, il aura notamment comme tâche de faire la liaison entre le monde chrétien et les Communistes.

Le deuxième, Guy de Bosschère, est un personnage moins connu. Né dans un milieu de catholique rabique terrorisé par la « menace du prétendu péril trinitaire judéo-maçonnico-communiste »[3], il s’engage politiquement au sein de la Légion nationale[4] qui le séduit par son côté jeune et dynamique bien éloigné du monde figé qu’il fréquente. Les hasards de l’histoire font ainsi de lui un résistant au sein du Mouvement national royaliste. Cette période va bouleverser son existence. D’une part il se rend compte que les gens de gauche sont des hommes comme lui et non des monstres assoiffés de sang. D’autre part, il est dégoûté par la violence qu’il côtoie. Si une prise de conscience est faite l’évolution politique, elle, est plus lente. De Bosschère fonde donc à la sortie de la guerre, en pleine affaire royale, le périodique d’extrême-droite pro-léopoldiste Septembre. La rupture avec ce milieu, se fera en 1947 parallèlement à la fréquentation du milieu artistique acquis au communisme. C’est en 1960 qu’il part pour Paris diriger la revue Présence Africaine et participer à la revue Esprit. Il présidera également la Fédération internationale des écrivains de langue française (FILEF).

Ces deux hommes, au parcours très différent, vont se rencontrer au sein du groupe Esprit de Bruxelles qui regroupe des lecteurs de la revue désirant débattre sur des thèmes précis. On peut comparer cette expérience à celle, actuelle, des Amis du Monde Diplomatique. Dans ce groupe Esprit de Bruxelles, se côtoie une série de gens importants ou qui le deviendront et dont les petites biographies à la fin de l’ouvrage rendent celui-ci très précieux. Le Groupe Esprit est également, et peut-être surtout, un lieu de rencontre et d’échanges entre personnes de mouvements politiques différents, notamment entre Chrétiens et Communistes et donnera naissance au CRISP. En 1952, Van Lierde et De Bosschère font partie des fondateurs de la revue Routes de la Paix liée au Mouvement Chrétien pour la Paix. Ils y écrivent une série de textes importants où ils se montrent attentifs à la situation internationale. 1958 sera une année importante. À Bruxelles, c’est l’exposition internationale. Pour Van Lierde et De Bosschère, c’est surtout la fondation du Centre International destiné à permettre aux leaders Congolais de se rencontrer. C’est un des moments forts de ce livre que le passage où est raconté toute l’action d’un petit groupe en faveur d’une indépendance du Congo qui est loin d’être acquise dans l’opinion publique belge. Les quelques lignes sur le meeting donné par Lumumba à Liège sont d’une grande portée et permettent de toucher, à côté des grandes dates et de ce qui est généralement raconté, au quotidien de militants qui ont décidé de consacrer leur vie à une cause qu’ils estiment juste et légitime. Le livre rappelle également que la loi fondamentale du Congo fut rédigée par François Perin. Cette période de la lutte pour l’indépendance du Congo, est marquée par une autre guerre d’indépendance dans laquelle de nombreux militants belges seront impliqués : c’est la guerre d’Algérie. C’est là le second moment fort du livre, où il est rappellé les déplacements clandestins pour soutenir le FLN. Proche des techniques utilisées dans la résistance moins de 20 ans plus tôt, les membres de l’antenne belge du réseau Jeanson déploient une activité phénoménale, non sans risque comme le prouve l’assassinat par colis piégé du professeur Laperche à Liège.

C’est un livre bien utile que celui-ci. Il démontre que l’histoire avec un grand H se fait dans l’ombre grâce à des gens que leurs actions militantes rapprochent. Il illustre parfaitement le rôle essentiel des lieux de rencontres entre réseaux militants, et ce avec de grands moments d’émotion. Enfin, à l’heure où les accents guerriers et le bruit des bottes se font entendre de plus en plus fort, il n’est sûrement pas inutile de publier un livre dont la couverture est un fusil brisé surmonté d’une colombe blanche.

Notes

[1] Van Lierde, Jean et De Bosschère, Guy, La Guerre sans armes. Douze années de luttes non-violentes en Europe (1952-1964). Bruxelles-Paris, Luc Pire-Karthala, 2002. 117 pages.
[2] p.23.
[3] p.11.
[4] Mouvement de droite extrême créé par l’avocat liégeois Paul Hoornaert le 1er mai 1922 et qui, par ultra-nationalisme, fera de la Résistance « anti-boche » dans l’esprit de 14-18. La doctrine de ce mouvement est résumé dans la Brochure de Hoornaert, Le Redressement national. La « Légion nationale belge ». Sa doctrine – Ses buts, parue à Liège au début des années 30.

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