Cet article a été publié dans Espace de libertés n°310 d'avril 2003, p.22
Le dernier livre de la virologue Lise Thiry, bien connue pour son combat à gauche depuis de nombreuse années et qui fut la tête de liste aux élections européennes de la fort courte expérience Gauche Unie, est sorti il y a peu aux éditions du Cérisier[1]. Cet éditeur trop peu connu continue ainsi dans sa collection « Place publique » à éditer des livres intelligents et citoyens[2]. Il affirme d’ailleurs sa démarche volontariste en ouvrant le livre par un texte de cinq pages posant des questions pertinentes sur le caractère démocratique de la procédure et qui tempère fort à propos l’impression générale optimiste qui se dégage à la lecture de cet ouvrage.
La note de l’éditeur est suivie d’un tableau sur une double page qui vise à expliquer la procédure de régularisation. On ne peut qu’être perplexe devant le caractère obscur et compliqué de cette procédure ainsi que devant la bulle représentant les services du Ministre de l’intérieur et qui n’est occupée que par des points d’interrogations.
Lise Thiry, avant de parler des cas concret, justifie sa présence au sein d’une des chambres de la commission de régularisation dont elle connaît les nombreuses failles et limites. Cette participation, elle l’inscrit dans la logique de défense des immigrés qu’elle mène depuis plusieurs années et qui fut tragiquement marquée par l’assassinat de Semira Adamu dont elle était la « marraine ».
De la lecture des notes d’audiences que l’auteur a classées par catégorie, allant de « Bien dans leur peau, malgré les difficultés » à « mal identifiés » en passant par « les paumés » ou « les exploités », peu ressortiront sans avoir eu leur vision de l’immigration clandestine modifiée. Si l’on est étonné par le nombre important d’avis favorables, on l’est moins par l’inventaire des misères humaines et on trouve la confirmation que l’immense majorité des clandestins travaillent, parfois depuis de très nombreuses années, dans notre pays. Ils y payent même parfois des impôts et, pour un grand nombre, ont refait leur vie avec femme et enfants. La plupart sont exploités dans une économie souterraine qui ne l’est que de nom. En effet le fait que ce travail en noir se fasse dans la construction, les abattoirs, l’agriculture, le textile et l’horeca n’étonnera que les adeptes de la politique de l’autruche. De même le fait de lire noir sur blanc que l’esclavage domestique existe toujours en Belgique. Terminons sur cet aspect par un extrait savoureux « Ce Polonais arrivé en 1989, travaille un peu partout. « Depuis 2000, je ne me suis pas inscrit comme demandeur de travail, car sinon, j’aurais perdu mes chances dans le secteur du noir... » Avis favorable, quand même, à cause de la durée de séjour... et puis, ce n’est pas notre rôle de surveiller le travail clandestin »[3].
Pour le reste, la succession de cas en quelques lignes à tendance à lasser, d’autant plus que même si tous les cas sont individuels et uniques, une impression de répétition se dégage, rendant d’ailleurs la situation d’autant plus dramatique. Mais la puissance de la conclusion, intitulée très justement « Une politique d’immigration » fait vite passer cette empression négative : « Tout circule aujourd’hui plus librement que l’homme : les capitaux, les marchandises, les informations – sauf l’individu qui a créé tout cela. On parle des flux migratoires en termes abstraits, statistiques. (...) Aux droits de l’homme se substitue un droit sur les choses et sur les personnes en tant que choses. »[4] Et Lise Thiry d’insister de manière fort pertinente sur l’hypocrisie qui règne sur les questions d’immigration, notamment à propos de la main-d’oeuvre qui, on l’a vu, est essentielle. L’auteur termine donc son livre en posant LA question : les procédures de régularisation, naturalisation... doivent-elles remplacer la tradition ancestrale et civilisatrice de l’hospitalité ?
[1] THIRY, Lise, Conversations avec des clandestins. Coll. Place Publique. Cuesmes, éd. Du Cerisier, 2002, 125 p. 7 euros.
[2] Citons notamment Le livre accès du Collectif sans ticket, plaidoyer pour la gratuité des transports publics, Le pas suspendu de la Révolution sur le bilan de la révolution cubaine, ou encore Willy Peers, un humaniste en médecine dont la recension est parue dans le n°299 d’Espace de Libertés.
[3] P.92.
[4] p.121.
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