Cet article a été publié dans Espace de libertés n°313 de septembre 2003, p.7
À l’heure où une plus grande implication de la société civile est présentée comme LA solution à la crise du système politique et de l’organisation de la poliV[1], Labor[2] édite les actes d’un colloque organisé à Bruxelles fin 2001 sur le thème des solidarités internationales et du rôle des ONG aujourd’hui.
Malgré un mélange d’articles n’ayant pas toujours la même valeur (on pense notamment à l’article, alibi de modernité n’apportant rien, consacré à Internet,), l’ensemble des contributions constitue un éclairage intéressant et varié de la problématique. Si on peut regretter la désagréable habitude de La Noria de rejeter l’ensemble des notes en fin de volume, la répartition des textes en trois parties (avant ’40, après ’40 et enfin aujourd’hui) permet de bien appréhender les évolutions successives.
Le livre s’ouvre sur un historique du Secours ouvrier international et du Secours rouge international. Cette contribution très documentée souligne le rôle fondamental de ces deux organisations de l’Internationale communiste. Il dénonce très justement au passage le concept de totalitarisme inventé au plus fort de la guerre froide par Annah Arendt et qui vise, en assimilant le communisme au nazisme, à disqualifier le premier et à positionner le système de la démocratie parlementaire bourgeoise comme un horizon indépassable. Cette première contribution, complétée par l’étude des mêmes organisations en France dans le deuxième article, éclaire très largement la différence fondamentale entre les organisations communistes et social-démocrates. Ces dernières sont clairement à la traîne sur les questions de solidarité internationale, ne s’y impliquent qu’avec des pieds de plomb, et sans résoudre des contradictions importantes (comme dans le cas de l’aide à l’Espagne républicaine).
Pour les années contemporaines, on retrouve cet écart dans la comparaison entre l’article sur la Ligue Anti-impérialiste (LAI)[3] et celui sur Solidarité socialiste, lié au PS. Les deux contributions sont des présentations par des responsables de ces organisations des idées et objectifs qu’elles défendent. Ces articles sont d’autant plus importants qu’ils sont deux des quatre constituant la partie « perspectives et débats actuels ». Il est confondant d’y lire que Solidarité socialiste, qui s’appelait toujours à l’époque Entraide socialiste, eut comme action lors de la décolonisation du Congo l’aide aux belges revenant au pays, c’est-à-dire l’aide aux coloniaux et non aux colonisés venant de se libérer ! L’auteur démontre ensuite qu’il y eut glissement vers la forme d’ONG d’aide au développement et de solidarité Nord-Sud, notamment par la participation à la création du Centre national de coopération au développement (CNCD). Il termine cependant par un discours creux sur les « solidarités responsables » et le « développement durable », posant des questions de forme sans aucune vraie réflexion idéologique. À l’image, oserait-on dire, du parti dont Solidarité socialiste est l’émanation. À l’inverse, Pol de Vos de la LAI apporte une contribution très actuelle et idéologique, soulevant les contradictions principales du système qui crée les déséquilibres sur lesquels les ONG humanitaires et de développement s’agitent : « Les miettes que les riches laissent tomber de la table ne changent rien au système de la concentration croissante de la richesse et à la globalisation de la pauvreté. Si nous voulons bannir la pauvreté, nous devons d’abord nous en prendre aux causes de la richesse insolente »[4]. Il remet ainsi fondamentalement en cause les différentes solutions « éthiques » (compte d’épargne, commerce équitable...) que les multinationales utilisent pour se donner un vernis humanitaire et présentable.
Si le contenu du texte sur la LAI est sans surprise, l’intervention d’Éric Dachy (médecin MSF) qui clôture le livre est plus surprenante et pose de très pertinentes questions. Un des problèmes mis en évidence est celui du délestage par le Politique de ses responsabilités sur des ONG de plus en plus instrumentalisées, et pas toujours « à l’insu de leur plein gré ». « Il est plus facile pour les gouvernements européens et américains de soutenir et de financer des projets de prévention de conflit ou de peace-building que de s’attaquer aux causes de certains conflits, comme le potentiel économique lié aux ressources ou que de soutenir la mise en place de régimes démocratiques. »[5], écrit Dachy. La bonne image diffusée dans les médias et qui fait la popularité dans le public des organisations humanitaires de toutes sortes n’est ainsi peut-être pas due au hasard.
« Cet ouvrage aligne une série d’exemples qui ont eu, bien davantage qu’aujourd’hui, le mérite d’être clairement politiques, de viser effectivement la solidarité et non la charité, et d’être sans conteste internationalistes »[6] remarquent José Gotovitch et Anne Morelli dans leur introduction. Notre lecture de l’ouvrage nous fait dire au contraire qu’aujourd’hui, comme hier, des personnes et des groupes luttent avec cohérence. C’est ce que montre les articles de Pol de Vos et d’Eric Dachy en comparaison avec les descriptions de l’action des groupes sociaux-démocrates. Et il n’est pas sûr que l’avenir soit dans le renouvellement du vocabulaire et l’abandon des termes comme « impérialisme », « lutte des classes »... au nom du politiquement (et médiatiquement) correct, comme le suggère l’introduction. Au contraire, par le retour aux sources via des études comme le premier article, la refondation de grands mouvements de solidarité s’appuyant sur le potentiel issus des récentes mobilisations altermondialistes et pacifistes, et utilisant intelligemment les nouveaux moyens de communication est à l’ordre du jour, mais ne pourra se concrétiser et être efficace qu’en se positionnant idéologiquement sans ambiguité.
[1] Au sens large et étymologique du grec ancien : « qui a trait à la vie collective dans un groupe d’hommes organisé ».
[2] Les solidarités internationales. Histoire et perspectives. Coll. La Noria, Bruxelles, Labor, 2003. 282p. 18 euros.
[3] organisation dépendant du PTB
[4] p.217.
[5] p.241.
[6] p.8.
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