Cet article est paru dans le numéro
n°26 d'aide mémoire d’octobre-novembre-décembre
2003
Louis-Ferdinand
Destouche (1894-1961)[1],
dit Céline, est sans conteste un des grands écrivains français du 20e siècle.
L’intégrale de ses écrits, dont le style divise toujours les lecteurs, a été
publiée dans La Pléiade en quatre
volumes. Il y manque cependant quatre ouvrages indispensables à la connaissance
de l’oeuvre et du personnage. Ces quatre livres[2],
Céline lui-même les a interdit à la réédition pour leur caractère sulfureux.
Comme pour Hergé, Simenon, Mambour, Chevalier, Giono... rares sont les
personnes qui connaissent réellement les actions de ces personnes célèbres, ou
le contenu des écrits qui valurent à Céline, avec son attitude pendant
l’occupation, un long exil au Danemark.
Un violent pamphlet
Bagatelles pour un massacre[3]
est un écrit sans nuance dans le plus pure style Célinien. Phrases courtes
terminées par des points de suspension ou par un point d’exclamation, chapitres
se résumant parfois à une phrase, language cru voire obscène... Il s’agit d’un
vaste réquisitoire, pas toujours cohérent, contre la domination de la France et
du monde par les Juifs. Mais ce n’est pas que cela. Au détour d’une insulte, on
fait la connaissance de la personnalité de Céline, d’un écrivain misanthrope et
aigri, même s’il s’en défend, par certains échecs comme celui du prix Goncourt[4].
« C’est pour les autres la jalousie. Ce serait inepte de ma part... je
râle par principe. C’est tout.[5] »
Et ce n’est pas les sujets qui manquent, du surréalisme, au cinéma en passant
par l’académisme de la langue française : « Le
« français » de lycée, le « français » décanté, français
filtré, dépouillé, français figé, français frotté (modernisé naturaliste), le
français de mufle, le français montaigne, racine, français juif à bachots,
français d’Anatole l’enjuivé, le français goncourt, le français dégueulasse
d’élégance, moulé, oriental, onctueux, glissant comme la merde, c’est
l’épitaphe même de la race française. C’est le chinois du mandarin (...) C’est
le français idéal pour Robots. »[6]
Pamphlet
dénué de réelle structure narrative, Bagatelles
a pour personnage central et omniprésent le Juif qui « (...) est un
nègre, la race sémite n’existe pas, c’est une invention franc-maçon, le Juif
n’est que le produit d’un croisement de nègres et de barbares asiates. »[7]
Un véritale délire antisémite
Le ton
est donné avec cet exemple qui n’est pas le seul où Céline énonce des
« vérités » bien personnelles qu’il appuie rarement de références. Et
quand il en cite, on ne peut que les trouver suspectes, principalement quand il
s’agit de texte produit par les Juifs comme le Talmud.
« Ils les connaissent, eux,
dans les coins, les secrets de l’opinion publique les youtres qui dirigent
l’Univers, ils ont toutes les ficelles en mains. Propagande, or, publicité,
radio, presse, « petites enveloppes », cinéma, d’Holywood la juive à
Moscou la youtre, même boutique, même téléphone, mêmes agences, mêmes youtres
aux écoutes, à la caisse, aux affaires, et puis en bas, rampant au sol, la même
masse, plastique, imbécile, l’aryenne étendue de brutes bornées, crédules,
divisées, devant, derrière, autour, partout... »[8]
Ce Juif qui dirige le monde sous différend masque, Céline l’a expérimenté de
près lorsqu’il a travaillé à la SDN « (...) secrétaire technique d’un Juif
(...) C’est un endroit de leurs dévotions. C’est la plus grande synagogue dans
le plus grand Temple « Maçon » de l’univers... C’est l’antre des
combinaisons les plus vicieuses de l’Epoque et de l’Avenir... »[9].
Pour l’auteur, la domination mondiale est annoncée dans plusieurs textes comme
le Talmud ou « Le fameux « Protocoles des Sages de Sion », (...)
une de ces histéries devinisantes juives, dont on se gausse à première lecture,
tellement à première vue elles relèvent par le ton, le fond, le style du tétanisme,
de la fumisterie d’asile (...) et puis l’on découvre à l’usage... avec le
temps... qu’elles furent parfaitement raisonnables (...) Ces Protocoles publiés
vers 1902 ont très exactement prédit tout ce qui s’est passé de juif dans le
monde depuis lors... »[10].
Dirigeant le monde occidental grâce à l’argent, les Juifs sont également
derrière la révolution russe de 1917 : « Il est tout à fait officiel,
cent fois prouvé, par documents irréfutables, que les premiers fonds décisifs
de la Révolution bolchévique 17, furent fournis à Trotzky par les banquiers
américains, de la haute finance juive (12 milliards, puis 125 milliards)»[11].
L’URSS, pays aux mains de la juiverie internationale, Céline l’a décrit dans
son précédent pamphlet Mea Culpa. Il
y revient cependant longuement au début et à la fin de Bagatelles, racontant surtout son séjour à Léningrad. C’est une
description apocalyptique qui est faite de l’URSS, un pays très pauvre
ressemblant à un immense dépotoir. « La misère russe que j’ai bien vue,
elle est pas imaginable, asiatique, dostoiewskienne, un enfer moisi,
harengs-saurs, cocombres et délation... Le Russe est un geôlier né, un Chinois
raté, tortionnaire, le Juif l’encadre parfaitement. Rebut d’Asie, rebut
d’Afrique... ils sont faits pour se marier... C’est le plus bel accouplement
qui sera sortis des enfers... »[12].
Pour
asseoir sa domination, le Juif a l’argent, la presse... mais également le mythe
de sa persécution à travers les âges. « Une bande de rats vociféroces,
intraitables, implacables ennemis... c’est un bidon phénoménal ce grand martyr
de la race juive... qu’on agite au-dessus des chrétiens. »[13]
Et voilà Céline en révisioniste non pas des chambres à gaz mais bien des
pogroms. Si le Juif prépare la guerre à venir, comme le montre son influence à
faire intervenir les nations dans la guerre civile espagnole, il ne se retrouve
jamais au combat. Et Céline, qui apparaît dans ces pages comme un pacifiste
radical, de les accuser de ne pas avoir servi la France en 14-18 et de proposer
de tous les mettre en première ligne lors de la guerre à venir.
Mais qui est le juif ?
« Tout
de même, il suffit de regarder, d’un petit peu près, telle belle gueule de
youtre bien typique (...) ces yeux qui épient, toujours faux à en blémir... ce
sourire coincé... ces babines qui relèvent : la hyène... Et puis tout d’un
coup ce regard qui se laisse aller, lourd, plombé, abruti... le sang du nègre
qui passe... Ces commissures naso-labiales toujours inquiètes... flexueuses,
ravinées, remontantes, défensives, creusées de haine et de dégoût... pour
vous !... (...) Leur nez, leur « toucan » d’escroc, de traître,
de félon (...) de toutes les trahisons qui pointe, s’abaisse, fonce sur la
bouche, si leur fente hideuse, cette banane pourrie, leur croissant, l’immonde
grimace youtre, canaille, si visqueuse (...). »[14].
Ce portrait est très classique et conforme à la représentation graphique
commune des Juifs[15].
Céline le complète ainsi : « Comme tous les afro-asiatiques leur
système nerveux, ataviquement est de zinc et le demeure, rustre, vulgaire, et fort
commun pour tout dire, en dépit de tant d’efforts, et d’énormes prétentions...
Précoces et frustres, mais sans échos. Ils sont condamnés s’ils s’ébattent sous
nos climats, à se dépenser en grimaces, en tam-tam, en imitations, comme les
nègres et comme tous les singes... »[16].
Enfin le Juif ne peut comprendre l’originalité, explication selon Céline du
nivellement par le bas des productions culturelles de son époque.
La fin de la France
« J’ai
rien de spécial contre les Juifs en tant que Juifs, je veux dire simplements
truands comme tout le monde, bipèdes à la quête de leur soupe (...) Mais c’est
contre le racisme juif que je me révolte, que je suis méchant, que je bouille
(...). »[17]. « J’aime
pas leur odeur c’est tout... J’ai le droit... Je suis chez moi. J’y vais pas
moi, à Tel Aviv... D’abord ils sont bien trop raciste à Tel-Aviv ! encore
bien plus féroces qu’Hitler ! »[18].
Ainsi c’est dans son pays que Céline n’aime pas les étrangers, et surtout il
retourne l’accusation de raciste sur sa victime. Deux arguments qui sont
toujours très souvent utilisés de nos jours.
Si
la France est à ce point dominée, le tournant étant bien entendu l’affaire
Dreyfus, c’est que la race française est complétement dégénérée principalement
par l’alcool : « Le bistrot souille, endort, assassine, putréfie
aussi sûrement la race française que l’opium a pourri, liquidé complètement la
race chinoise... le haschisch les Perses, la coca les Aztèques... »[19].
Et le Front Populaire, oeuvre du Juif qui s’affiche ouvertement, arrogant,
comme dans le film La grande illusion
n’a fait qu’accentuer le phénomène en accordant les 40 heures, remplissant
ainsi encore un peu plus les cafés. Le massacre du titre n’est ainsi pas celui
des Juifs, comme un grand nombre de personnes n’ayant pas lu le livre le pense,
mais celui des Français.
Hitler plutôt que Blum.
Bagatelles pour un massacre n’aurait été
qu’un livre relevant plus de la psychiatrie que de l’opprobre s’il était passé
inaperçu, resté dans des fonds de librairie. Mais avec Les Décombres de Lucien Rebatet[20],
Bagatelles fut un des gros succès
éditoriaux de l’occupation connaissant plusieurs rééditions. Il eut donc une
influence certaine sur les esprits de l’époque. De plus, ce n’est pas un acte
isolé, mais un livre qui s’inscrit dans une suite d’écrits et d’attitudes de
Céline entre 1937 et 1945. Enfin, si Céline par tactique a interdit de le
republier, il n’a jamais fondamentalement renié ses prises de positions de
l’époque. Car : « Portant les choses à tout extrême, pas l’habitude
de biaiser, je le dis tout franc, comme je le pense, je préfererais douze
Hitler plutôt qu’un Blum omnipotent ? Hitler encore je pourrais le
comprendre, tandis que Blum c’est inutile, çà sera toujours le pire ennemi, la
haine à mort, absolue. Lui et toute sa clique d’Abyssin, dans la même brouette,
ses girons, son Consistoire. »[21]
[1] Sur tous
les aspects de Céline, voir le très bon site louisferdinandceline.free.fr.
[2] Mea culpa (1936) sur son voyage en URSS,
Bagatelles pour un massacre (1937) et
L’école des cadavres (1938) contre
les Juifs et enfin Les Beaux-draps
(1941) sur la débâcle de l’armée française. Mea
culpa est le seul qui a finalement été réédité par Gallimard en 1986.
[3] Céline,
Louis-Ferdinand, Bagatelles pour un
massacre, Paris, Denoël, 1937, 317 p.
[4] Guy
Mazeline, complètement oublié aujourd’hui, lui fut préféré et Voyage au bout de la nuit n’obtint que
le Renaudot.
[5] Bagatelles... p.182.
[6] p.142.
[7] p.165.
[8] p.44.
[9] p.83.
[10] p.235.
Nous renvoyons le lecteur à notre article
Un échec voué au succès. Les protocoles des sages de Sion in Aide-mémoire n°18 de
juillet-août-septembre 2001.
[11] p.238.
[12] p.39.
[13] p.60.
[14] p.250.
[15] Voir le
dessin d’Hergé en illustration à cet article.
[16] P.57.
[17] p.60.
[18] p.271.
[19] p.124.
[20]
« Brique » de 664 pages éditée par Robert Denoël, éditeur liégeois
qui aurait été membre de la célèbre Caque avec Simenon et qui sera assassiné à
Paris le 2 décembre 1945, plus que probablement en raison de ses sympathies
fascistes indéniables dans les années 30 et 40 et de son rôle sous l’occupation.
Le livre explique les raisons de la défaite française de mai 40 et fera l’objet
d’une analyse dans une de nos prochaine chronique.
[21] p.268
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