samedi 27 décembre 2003

Allende, le Frère marxiste


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°316 de décembre 2003, p.22


Né en 1908, Allende fait partie des fondateurs du parti socialiste chilien en 1933. Médecin, il devient Ministre de la santé en 1942 dans un gouvernement de Front Populaire. Le 4 septembre 1970, après trois tentatives infructueuses, il remporte les élections présidentielle chilienne. Son gouvernement d’Unité populaire allant des Communistes aux Chrétiens de gauche sera renversé le 11 septembre 1973 par un Putch dirigé par le commandant en chef des armées, le général Augusto Pinochet, téléguidé par les USA dont les intérêts impérialistes avaient été gravement atteint par les mesures de justice sociale du gouvernement démocratiquement élu. Ces faits sont largement connus. Comme l’est l’appartenance à la maçonnerie de Salvador Allende – qui le proclamait dès avant son accension à la présidence - qui est au centre de cet ouvrage.

La traduction en français du livre du journaliste chilien Juan Gonzalo Rocha[1], si elle n’apporte pas de réelles révélations, éclaire cependant d’un jour nouveau l’itinéraire de Salvador Allende par la reproduction dans le texte et en annexe de nombreux documents internes à la maçonnerie. On pense plus particulièrement aux discours prononcés par Allende lorsqu’il recherche le soutien de ses frères à divers moments clefs de son parcours politique. On soulignera la pertinence des notes et explications en fin de chapitre qui permettent au néophyte de comprendre les termes et usages maçons.

Allende était membre de la loge « Hiram 65 », une loge qui avait proclamé la mixité à la fin des années 30 à l’exemple du « droit humain ». Maçon, il est également Marxiste. Il insiste d’ailleurs sur la compatibilité de cette double appartenance, contrairement à celle de Maçon et de Communiste. Un des textes essentiels publiés dans le livre est la lettre de démission[2] à la loge qu’écrit Allende le 21 juin 1965. Le futur président du Chili y dénonce l’absence de jeunes et d’ouvriers et plaide pour que l’ordre s’implique dans la politique afin de rendre pratique les belles idées développées à longueur de tenues : « Cette position de notre Ordre l’amènera nécessairement à lutter avec ceux qui sont des indices d’une mise à l’écart généralisée et avec ceux qui jouissent des avantages d’un statut quo atrocement inhumain et antisocial. Semblabes batailles furent livrées hier, et aujourd’hui il faut combattre l’oligarchie, le féodalisme agraire, la concentration financière des monopoles, le colonialisme, le néocolonialisme, mais aussi l’obscurantisme religieux et dogmatique.

Si l’Ordre accepte de prendre une telle attitude conforme aux responsabilités de notre heure, il ne pourra pas garder le silence et s’enfermer dans les temples. Au contraire, ses files se verront grossir et fortifier de façon que ses enseignements transcendront de manière décisive le monde qui l’entoure. Mais un Ordre qui se tait lorsque l’on sème la terreur psychologique sur notre vie civique, cela n’a aucune valeur spirituelle. »[3]. Il redira la même chose lors d’un discours tenu le 2 août 1970 au restaurant El Rosedal à l’occasion d’une manifestation de soutien à sa candidature à l’élection présidentielle à laquelle assiste de nombreux maçons : « Tout comme les loges lautarines qui nous ont dans le passé aidés à nous libérer de la soumission à l’Espagne, je souhaite qu’aujourd’hui les francs-maçons nous libèrent de la soumission à l’impérialisme qui écrase notre pays économiquement, politiquement, socialement, syndicalement, militairement et culturellement »[4].

C’est donc une maçonnerie tournée autant sur la réflexion et le travail de perfection de chacun de ses membres que sur le changement de la société vers un monde de liberté, d’égalité et de fraternité qu’Allende appelle dans les textes reproduits ici. Cette position n’est d’ailleurs pas unique. On rappellera le rôle des maçons lors de la Commune de Paris, mais aussi plus près de nous celui de la loge Hiram de Liège dont les membres s’impliqueront dès 1934 dans le Comité de vigilance des intellectuels anti-fascistes (CVIA) avant de jouer un rôle important dans la Résistance au sein du Front de l’Indépendance et du journal clandestin La Meuse notamment.

Nous n’avons eu qu’un seul regret à la lecture de cet ouvrage : l’absence de commentaire sur l’attitude des maçons pendant et après le coup d’état. Car si le livre donne l’impression d’un soutien important (mais pas unanime) de la maçonnerie chilienne à Allende, il ne dit mot sur l’appartenance des putchistes à l’Ordre ni au rôle de ce dernier pendant la dictature.

Notes

[1] Juan Gonzalo Rocha, Allende franc-maçon, Bruxelles-Paris, PAC-Luc Pire-éd. Du Félin, 2003, 268p.
[2] Démission qui sera refusée, Hiram 65 se disant d’accord avec les critiques formulées par Allende.
[3] p.130.
[4] p.142.

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