Cet article a été publié dans Espace de libertés, n°340 de mars 2006, pp.20-21
Ce que l’on nomme communément le « darwinisme social » est né en parallèle de la théorie de Darwin et est principalement du à l’autodidacte Herbert Spencer (1820-1903) [1]. Elle en est une extension au domaine de la sociologie, extension que Darwin lui-même rejeta dans son ouvrage La filiation de l’Homme publié en 1871[2]
Un paradigme
C’est cette extension des lois dites naturelles au champ social qui forme l’ossature de l’idéologie de l’extrême droite de ses origines à nos jours.
Avant de développer l’articulation du schéma repris en illustration, il est important de bien placer le paradigme de départ. Reprenons pour ce faire ce que dit le ministre de l’agriculture du IIIe Reich Walther Darré :« La branche la plus moderne et la moins arriérée de nos sciences, la zoologie, nous ramène automatiquement à l’ancienne conception germanique. Elle proclamait l’inégalité héréditaire comme vérité reconnue, et c’est à cela qu’aboutissent également, de nos jours, les sciences naturelles. »[3]. Hitler dans Mein Kampf précise d’ailleurs que « L’homme ne doit jamais tomber dans l’erreur de croire qu’il est véritablement parvenu à la dignité de seigneur et maître de la nature (…). Il doit, au contraire, comprendre la nécessité fondamentale du règne de la nature et saisir combien son existence reste soumise aux lois de l’éternel combat et de l’éternel effort, nécessaires pour s’élever. »[4] Cette conception de l’organisation de la société n’est pas propre au nazisme. Ainsi Charles Maurras considérait que « en biologie, l’égalité n’est qu’au cimetière (… si elle) peut être au bas degré de l’échelle, au départ de la vie, elle est détruite par les progrès de la même vie. Le progrès est aristocrate. »[5] ce qui a pour conséquence : « Quant aux biens imaginaires attendus de l’Egalité, ils feront souffrir tout le monde. La démocratie, en les promettant, ne parvient qu’à priver injustement le corps social des biens réels qui sortiraient, je ne dis pas du libre jeu, mais du bon usage des inégalités naturelles pour le profit et pour le progrès de chacun. »[6] On voit ici apparaître une nuance importante pour l’adaptation pragmatique de l’idéologie, le « bon usage » permettant de mettre en place des mécanismes de charité à destination de ceux que l’on considère membre de la communauté, communauté dont l’importance et les limites peuvent fluctuer tant qu’elle garde une apparence d’homogénéité. Après la guerre, l’anglais Oswald Mosley ne dit rien d’autres lorsqu’il affirme que « l’actuelle tendance au nivellement, qui fait fi de toute habileté personnelle et méprise le goût des responsabilités trouve sa limite dans l’anéantissement de toute société humaine parce qu’elle nie la loi naturelle d’inégalité à laquelle tous sont soumis.»[7].
Analyse du schéma :
Sur base du paradigme développé ci-dessus, l’extrême droite proclame que ce sont nos sentiments, notre nature qui doivent prendre le dessus, guider notre développement. Citons ici une dernière fois Hitler : « la conception « raciste » fait place à la valeur des diverses races primitives de l’humanité. En principe, elle ne voit dans l’état qu’un but qui est le maintien de l’existence des races humaines. Elle ne croit nullement à leur égalité, mais reconnaît au contraire leur diversité, et leur valeur plus ou moins élevée. Cette connaissance lui confère l’obligation, suivant la volonté éternelle qui gouverne ce monde, de favoriser la victoire du meilleur et du plus fort, d’exiger la subordination des mauvais et des faibles »[8].
Dans ce contexte, la raison poussée trop loin nous affaiblit, ce qui explique le rejet généralisé des intellectuels et la promotion de l’action sur la réflexion. Pour l’extrême droite, les progrès de la raison nous ont coupés de la nature. Il faut donc que l’homme réapprenne à suivre son instinct au détriment de son intellect. Physiquement, il faut également que l’homme se rapproche de la nature, d’où la promotion des valeurs paysannes et de la vie saine à la campagne opposée à la ville corruptrice. Sur cet axiome qu’est le respect des lois naturelles, s’articule le reste de l’idéologie, avec des points plus ou moins importants selon les pays et les mouvements. De même les interactions entre les différents points peuvent avoir une intensité variable.
La nature est hostile. Seul le plus fort y survit soit en s’adaptant, soit en luttant. C’est pourquoi l’extrême droite exalte tellement la force virile dans son discours, dans ses méthodes et dans son imagerie. Les questions doivent être réglées par la force, par l’action, et non par la discussion ou la réflexion. La politique d’extrême droite se veut donc en rupture avec les pratiques démocratiques. Cette rupture avec le consensus social, associée à un certain jeunisme, justifie son positionnement « révolutionnaire ».
De cette mise en avant de la force découle la position particulière du Chef. Celui-ci est naturellement le plus fort, celui qui est sorti du lot. Le seul fait d’occuper la position de chef rend légitime cette position. Tout dirigeant de l’extrême droite a fait preuve de courage et a démontré sa force : bagarre pour Dewinter et Hitler, exploit physique mis en scène pour Mussolini… C’est de cette conception du chef, de son commandement indiscuté que découle, renforcé par les valeurs viriles, une organisation militaire, une hiérarchie stricte des mouvements et de la société, ainsi que la défense de l’armée et une vision très stricte de l’éducation. De plus, cette conception hiérarchique de la société disqualifie évidemment le parlementarisme où tous sont sur le même pied et où le vote majoritaire est le mode de décision.
Les lois naturelles sont donc inégalitaires et favorisent le plus fort dans une société très hiérarchisée. Mais ce ne sont pas les seules articulations.
Ainsi le racisme découle-t-il également des lois de la nature. Le constat est fait du non mélange des espèces entre elles ou, dans ce cas, d’un affaiblissement fatal de la race, voire d’une progéniture stérile (vue comme une réaction positive de la nature). C’est donc logiquement que les théories eugénistes sont fort prisées par l’extrême droite. Rappelons ici que les handicapés ont été les premières victimes du régime nazi, bien avant les Juifs. Contrairement à ce qui est donc souvent dit et écrit, l’antisémitisme n’est en rien la base de l’idéologie d’extrême droite. Il s’explique, au niveau idéologique, par la hiérarchisation des races. Au sommet de l’échelle, on trouve l’homme occidental blanc (avec l’Aryen comme forme la plus aboutie), et tout en bas le Sémite. Entre les deux, le Slave, l’Asiatique, le Latinos, le noir… Tout mélange entre des membres des divers échelons est apparenté à un virus ou à un cancer qui gangrène inévitablement la race et mène celle-ci à la destruction. On comprend ici aisément comment dans le discours le Musulman peut remplacer le Juif comme forme repoussoir sans pour cela bouleverser de fond en comble la doctrine.
C’est toujours sur le plan de l’eugénisme et du respect des lois de la nature que se situe le rôle de la femme, nous avions envie de dire la “femelle” : la reproduction. Plus largement, la mission de l’homme sur terre est de se reproduire, de perpétuer – et donc d’améliorer et renforcer – sa race, au besoin en éliminant ses concurrents. Faut-il dès lors préciser que l’homosexualité est vue comme une « erreur de la nature ».
Dans cette logique, le nationalisme se présente comme le regroupement de « la meute ». Les différents cercles plus ou moins élargis suivant les auteurs et partis ne doivent pas ici non plus masquer la logique commune. La communauté nationale et sa cohésion sont indispensables à la survie du peuple, de la race. C’est pourquoi aucun facteur de division ne peut être admis. Le corporatisme est donc logique à plusieurs titres. D’une part, la hiérarchie décrite plus haut, où celui qui réussit a le pouvoir - dans ce cas le patron - est légitime de par la position qu’il occupe. D’autre part, la lutte des classes affaiblit la nation dans une « guerre civile » stérile alors que la menace est externe.
On constate donc que l’idéologie d’extrême droite est une doctrine très structurée et d’une grande cohérence, une fois que l’on a admis l’axiome du respect des lois naturelles et donc du refus de l’égalité, des chances comme du résultat. C’est l’inégalité qui est naturelle et qui doit donc être acceptée comme un fait contre lequel on ne peut rien faire. Cette analyse est toujours bien au centre de l’idéologie d’extrême droite aujourd’hui comme le prouve, parmi de nombreux autres exemples possibles, le fait qu’« en août 1989, à l’université d’été du FN à la Baule, Carl Lang se référait à « l’empirisme organisateur » qui oppose la nature humaine qui a fixé un « ordre naturel des choses » à l’égalité qui « n’existe pas naturellement » »[9] restant ainsi parfaitement dans la ligne des idéologues de la nouvelle droite qui, dans leur combat pour gagner la bataille des idées en actualisant le discours d’extrême droite, « ont pu s’approprier, en la dénaturant, la rhétorique de l’antiracisme des années 1980 sur le « droit à la différence », pour dénoncer le « mythe égalitaire ». Les différences culturelles sont naturalisées pour justifier une organisation hiérarchisée de la société, ainsi qu’un rejet d’un métissage ou de l’immigration. De même, le discours antisexiste est récupéré en « reconnaissance des genres », et « l’universel féminin » opposé aux féministes »[10]
[1] Holmes, Brian, Herbert Spencer in Perspectives ; revue trimestrielle d’éducation comparée vol. XXIV, n°3-4, Paris, Unesco, 1994, pp.553-575
[2] Tort, Patrick, Darwin, théorie de l’évolution. Article disponible sur www.futura-sciences.com/comprendre/d/dossiers322-5.php
[3] Darré, Walther, La Race. Nouvelle noblesse du sang et du sol. Paris, Fernand Sorlot, (1939). p.59. Nous renvoyons les personnes intéressées par une analyse plus approfondie des textes de l’extrême droite à la chronique que nous tenons dans Aide mémoire depuis 2001 et qui est accessible sur www.territoires-memoire.be/am/indexAuteur.php#D. En effet, notre démonstration s’appuie sur un corpus de plus de 230 ouvrages auquel il faut ajouter l’analyse d’écrits internes, des sites Internet…
[4] Hitler, Adolf, Mon combat, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1979, p.243
[5] Maurras, Charles, Mes idées politiques. Texte établi par Pierre Charbon. Préface inédite, 5e éd., Paris, Fayard, 1937, p.97
[6] Id., pp.XXXVII-XXXVIII
[7] Mosley, Oswald, La Nation Europe, Paris, Nouvelles éditions latines, 1962, p.72
[8] Hitler, Adolf, Mon combat, op.cit., pp.380-381
[9] Jean-
[10] Sylvain Pattieu, L’illusion immunitaire, ou le fascisme est-il soluble dans la démocratie libérale ? in Contre temps, n°8, septembre 2003 : Nouveaux monstres et vieux démons : déconstruire l’extrême droite. p.19
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire