mardi 20 avril 2004

Terrorisme ou terrorisme (4)


Pour terminer cette série, voici un texte intitulé Les dangers du renseignement clandestin

Ce texte a été publié dans Espace de libertés n°320 d'avril 2004, p.25

« Une fois de plus, Pierre Hauman, fondateur et dirigeant du service de renseignement Tégal, est transféré rue Traversière, non loin du Botanique (...) Il sait très bien ce qui l'attend. Sa cellule de la prison de saint-Gilles lui apparaît presque comme un havre de paix. Dernières secondes de calme avant la tempête. » C'est par ces mots dignes d'une bonne série noire qu'Emmanuel Debruyne, jeune historien attaché au Ceges, introduit son étude[1] d'un des principaux réseau de renseignement actifs en Belgique pendant la deuxième guerre mondiale. Dans un style remarquable, l'auteur nous emmène dans le monde mystérieux du renseignement. Mais ici, la réalité dépasse la fiction, et c'est l'histoire d'un groupe d'hommes et de femmes prêts à sacrifier tout ce qu'ils ont, y compris leur vie, qui nous est contée.

Pierre Hauman, que les Allemands emmènent ainsi vers un nouvel interrogatoire, est né en 1911. Officier dans l'armée belge, il est surpris en France par l'Armistice. Patriote, il refuse la défaite et profite de sa position de gestionnaire d'un stock de matériel militaire et de ses contacts pour constituer un réseau d'évasion et de renseignement. Le nom de ce dernier sera dû à une incompréhension. Au printemps 41, à un officier anglais qui lui demande de baptiser son réseau, Hauman répond « C'est égal » compris par l'officier en « Tégal ». Le réseau connaît un développement rapide. Financé par Londres, Tégal dispose même d'un opérateur radio qui lui a été parachuté. L'investissement vaut la peine, les renseignements fournis étant souvent de la plus haute importance, notamment quand une partie du réseau transmet 612 planches techniques de l'avion Focker-Wulf 190.

Fait rare dans un tel livre, l'auteur cite les noms des protagonistes, y compris de ceux qui parlent sous la torture ou trahissent. Il n'est d'ailleurs pas tendre avec son « héros », Pierre Hauman, qui « non content d'attirer l'attention par son habillement ou sa manière d'agir, (...) ne peut pas non plus s'empêcher de garder un train de vie élevé et une sociabilité soutenue! Peut-être espère-t-il éloigner les soupçons en montrant qu'il n'a pas peur d'attirer l'attention. Mais c'est un jeu dangereux, d'autant que Hauman ne semble pas prendre conscience que sa propre existence n'est pas la seule à être risquée de la sorte. »[2]. Arrêté, torturé, Hauman craque et son réseau est démantelé en décembre 1943.

La partie la plus intéressante du livre est cependant l'analyse sociologique du mouvement que Debruyne étudie dans les trente dernières pages. Il y démontre le caractère de classe des agents du renseignement qui appartiennent essentiellement à la haute ou moyenne bourgeoisie, contrairement à la résistance armée composées principalement d'ouvriers. Il n'est dès lors pas étonnant que Tégal soit un mouvement de droite anti-boche dont « (...) il apparaît que dans des secteurs et des échelons divers, des agents se sont engagés dans différents groupes de résistance armée qui ont par la suite fait partie de l'Armée secrète, mouvement qui se situe assez fort à droite. »[3] On touche là à toute la complexité de la Résistance, qui depuis les Royalistes jusqu'aux Communistes avaient comme objectifs commun le mot d'ordre « Hors du pays l'occupant ! », les divergences entre belges étant destinées à être réglées ensuite. Ce phénomène n'a rien d'unique, il s'inscrit même plutôt dans le schéma classique d'une résistance à l'occupant dont on retrouve les caractéristiques principales en Irak aujourd'hui. D'ailleurs, « Contrairement à leurs prédécesseurs de la Première guerre mondiale, qui avaient été en grande partie négligé par l'Etat, les agents de renseignements de la Seconde vont se voir attribuer un statut, assorti de récompenses et de décorations. Paradoxe s'il en est, puisque leur action, illégale aux yeux des Allemands, l'était théoriquement aussi aux yeux de l'Etat belge, qui avait ratifié (de même que l'Allemagne) les conventions de La Haye de 1899 et de 1907! Codifiant les lois et coutumes de la guerre, ces deux traités avaient pour but de protéger les populations civiles et d'empêcher les excès, notamment en interdisant sous peine de mort la pratique de l'espionnage, c'est-à-dire de la recherche clandestine d'informations. ». A méditer au vu de l'utilisation constante de l'appellation de « terroriste » dans les médias[4].

Notes

[1]DEBRUYNE, Emmanuel, C'était Tégal. Un réseau de renseignements en Belgique occupée. 1940-1944. Coll. La Noria, Bruxelles, Labor, 2003. 189p.
[2]p.63.
[3]p.136
[4]Nous renvoyons le lecteur intéressé par cette question à l'échange que nous avons eu avec Hugues Lepaige dans la revue Politique: HANNOTTE, Michel et DOHET, Julien, Le résistant, un terroriste victorieux in Politique n°32 de décembre 2003 pp.58-59 et LE PAIGE, Hugues, Terrorisme et résistance: confusion et complaisance in Politique n°33 de février 2004 p.7

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