Alors que le pouvoir a été transmis au gouvernement provisoire irakien le 28 juin 2004, la situation sur le terrain reste tendue, comme le prouve les actions quasi quotidiennes de la Résistance[1]. L’occupation est d’ailleurs toujours un fait, les troupes US et leurs alliés étant toujours aussi présentes. Et ce malgré le départ de plusieurs pays aux contingents faméliques dont le retrait a surtout une portée symbolique, comme par exemple les 51 Philippins rappelés le 14 juillet. Les Irakiens ne sont donc pas dupés par ce transfert à un gouvernement fantoche que l’on comparerait volontiers à celui de Vichy dans sa période d’après 1942. Les exécutions de dirigeants et hauts fonctionnaires en sont la preuve, tout comme les attaques de commissariats, les sabotages des installations pétrolières et des pipe-line visant à empêcher les Américains de piller les ressources du pays...
Parmi la nombreuse littérature publiée sur l’Irak, le pire côtoie le meilleur. Dans ce monceau de livres, l’étude de Mohammed Hassan et David Pestieau, L’Irak face à l’occupation parue chez EPO, se démarque par son analyse sur le long terme, mais également par son aspect idéologique tranchant avec le discours dominant[2].
Dès l’introduction, les auteurs donnent le ton : « Et comment les nazis appelaient-ils encore les membres de la résistance belge ? « des terroristes dirigés par l’étranger ». C’est précisément en ces termes que la résistance irakienne est qualifiée aujourd’hui par CNN et consorts »[3].
Le livre retrace l’histoire de l’Irak, soulignant notamment les similitudes qui existent entre la situation actuelle et la colonisation britannique de 1917. On touche ici à la thèse centrale du livre : « Dans un grand nombre d’anciennes colonies, les États-Unis et l’Europe occidentale tirent toujours les ficelles grâce à leur contrôle de l’administration, des services de police, de l’armée et de l’économie. La vieille idée selon laquelle les anciens États coloniaux ont le droit d’intervenir dans les anciennes colonies a conduit, dans les années 1990, à une réhabilitation du colonialisme tout court. Après les attentats du 11 septembre 2001, toutes les barrières sont tombées »[4].
Et les auteurs de montrer que les Américains ont commencé à intervenir en Irak, via l’activation de la question kurde, dès l’arrivée du Baath au pouvoir et sa nationalisation du pétrole, pétrole dont on connaît l'importance vitale pour les USA et dont l'Irak possède encore des réserves gigantesques inexploitées. Dans cette optique, est-ce un hasard si « (une) ordonnance, dont l’intitulé complet est Moving the iraki economy from recovery to sustainable growth, stipule que 200 entreprises d’Etat seront privatisées, y compris des banques, des mines et des usines. Et qu’importe si la Constitution irakienne précise noir sur blanc que les secteurs clés de l’économie ne peuvent être privatisés. Et si les Conventions de Genève précisent également qu’une force d’occupation doit respecter les lois du pays qu’elle occupe »[5] ?
Pour les auteurs, la guerre faite à l’Irak remonte à 1991 et ne s’est jamais réellement interrompue. Ainsi, ils évaluent entre 500 000 et 1 500 000 le nombre de morts dus à l’embargo. Mais la guerre est-elle réellement finie ? On peut en douter à lire ce livre qui explique combien le régime de Saddam Hussein s’était préparé depuis la défaite de 1991 à une guerre de guérilla, conscient qu’il était impossible de lutter contre la puissance de feux américaine. Cette guérilla, ce harcèlement constant des forces d’occupation, a rapidement fait faire aux journalistes le parallèle avec le bourbier vietnamien. Et Hassan et Pestieau terminent d’ailleurs leur livre sur cette question : L’Irak sera-t-il un nouveau Vietnam ? Rien n’est moins sur. En effet, contrairement à l’existence du PC Vietnamien dirigé par Ho Chi-Minh, les deux auteurs soulignent qu'il n’y a pas encore en Irak UNE alternative crédible porteuse d'un véritable changement pour le peuple irakien. Sur le terrain la résistance préparée par Saddam Hussein s'est d'ailleurs vue renforcée par divers groupes, comme celui de Moqtada Sadr, ayant d'autres objectifs – et pour certains des méthodes injustifiables - et ne soutenant pas l'ancien dirigeant et son régime, mais unis dans leur rejet de l’occupation américaine[6]. La capture du chef d'état irakien est ainsi, à contrario de ce que l'on pourrait penser, un facteur qui à terme pourrait faciliter la cohésion des différentes forces anti-US.
Plus qu'une défaite militaire, la victoire du Vietcong contre l'impérialisme américain représentait un nouveau signe d'espoir pour les peuples dominés. Cet espoir qu'analyse fort bien Alain Rusco dans un récent article[7] rappelant combien la débâcle de l'armée française 20 ans plus tôt dans la cuvette de Dien Bien Phu le 7 mai 1954 avait joué un rôle central dans la révolte des peuples colonisés, et principalement dans le déclenchement le 1er novembre 1954 de l'insurrection algérienne.
Après le 11 septembre 2001, après une « libération » de l’Afghanistan qui n’y a pas changé grand-chose[8], une défaite des USA et de leurs alliés et collaborateurs en Irak démontrerait que la puissance américaine n'est pas invincible et pourrait être le signal d'une insurrection généralisée contre l'impérialisme US.
Faut-il l’espérer ?
[1]Le Soir du 22 juillet signalait ainsi la mort du 900e soldat américain depuis mars 2003.
[2] Mohammed Hassan et David Pestieau, L’Irak face à l’occupation, Berchem, EPO, 2004, 185 p., 15 €
[3] P.9. Notons à cet égard que les journalistes ne savent plus très bien quelle terminologie utiliser, alternant sans logique apparente entre « terroristes », « résistants », « membres de la guérilla », « rebelles », « miliciens »...
[4] p.161.
[5] p.32.
[6] Voir par exemple l’article d’Ibrahim Ward, L’Irak, l’eldorado perdu. Chiites et sunnites ensemble face aux Etats-Unis in Le Monde diplomatique n°602 de mai 2004, p.1 et pp.12-13
[7] Alain Rusco, Dien Bien Phu vu du Tiers-Monde. Le Valmy des peuples colonisés in Le monde diplomatique, n°604 de juillet 2004, p.21. Voir également sur l’impact du conflit Vietnamien l’article de Anthony Arnove, Marx au pays de l’Oncle Sam, pp.20-23 du numéro hors-série du Nouvel observateur intitulé Karl Marx, le penseur du troisième millénaire ? Comment échapper à la marchandisation du monde, oct-nov. 2003.
[8]Voir le bref article de Marc Epstein dans Le Vif-L'Express du 2 juillet 2004, p.46.
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