dimanche 20 février 2005

Terrorisme ou terrorismes ?


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°328 de février 2005, pp.11-12

Il y a trois ans, Espace de Libertés consacrait un dossier au terrorisme[1]. De l’ensemble des articles publiés alors, il ressortait clairement que la réalité couverte par ce terme était très hétérogène. Il apparaissait également que l’ambiguïté quant à la définition du terrorisme permettait de jeter facilement le discrédit sur une cause en l’intégrant dans ce vaste concept. Depuis, l’inconstance du vocabulaire employé par les médias pour désigner les opposants aux troupes américaines en Irak (on passe de guérilla à résistance, en passant par mouvance islamiste ou rébellion), l’utilisation par l’administration Bush de la « guerre contre le terrorisme » pour attaquer tous ceux qui s’opposent à l’impérialisme américain (voir les agissements contre Hugo Chavez au Venezuela) ou du gouvernement Russe de Vladimir Poutine pour avoir les mains libres en Tchétchénie n’ont certainement pas aidé à y voir plus clair.

Un terme défini dans le temps et l’espace

Le concept est utilisé pour la première fois par la langue française en 1798 dans un supplément au dictionnaire de l’académie française. Il désigne alors la période de la Révolution française qui s’étend du deuxième trimestre 1793 à juillet 1794, de la chute des Girondins à celle de Robespierre. Cette période est connue dans l’histoire sous le nom de « Terreur ». Menée par les Jacobins, avec à leur tête Saint-Just et Robespierre, elle est une radicalisation de la Révolution menacée par les monarchies européennes. Elle est surtout marqué par une utilisation intensive de la guillotine afin d’éliminer de nombreux « ennemis de la Nation » : Nobles, membres du clergé, fédéralistes et monarchistes.

Comme pour le fascisme, qui désigne d’abord et avant tout le mouvement puis le régime mis en place par Mussolini et qui gouvernera l’Italie de 1922 à 1944, le mot « terrorisme » a donc d’abord désigné un phénomène précis avant de servir de qualificatif à de nombreux éléments forts disparates. Et comme Pierre Milza et Serge Berstein l’ont notés à propos du fascisme[2], il faudrait plutôt parler du terrorisme au pluriel, les groupes, faits et situations généralement désignés étant difficilement comparable[3]. En fait, chaque auteur a sa définition et ses caractéristiques pour cerner le phénomène. Deux grandes tendances se dégagent cependant. L’une restrictive et l’autre plus large.

Version minimaliste

La première tendance est bien illustrée par Le Petit Larousse grand format 2005 qui définit le Terrorisme comme « l’ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc) commis par une organisation pour créer un climat d’insécurité, exercer un chantage sur un gouvernement ou satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système ». Al Qaïda, l’attentat d’Oklahoma City, l’attaque aux gaz Sarin dans le métro de Tokyo, l’assassinat d’Itzhak Rabin par un extrémiste Juif... entrent dans ce cadre. A posteriori, cette définition permet également de désigner des groupes comme la secte religieuse des Sicarii en Palestine au Ier siècle avant JC ou la secte des Assassins en Perse et en Syrie au XIe siècle.

Elle s’applique surtout à la fin 19e - début 20e pour désigner les actes d’une partie du mouvement anarchiste qui alternait l’assassinat politique (le président française Carnot en 1894, le président des USA Mc Kinsey en 1901…), l’attentat spectaculaire ou le banditisme (avec en France Ravachol et la Bande à Bonnot). Il est intéressant de constater que ces actes isolés qui s’inscrivaient – du moins dans le cas des attentats – dans le cadre d’une tactique révolutionnaire de la « propagande par le fait » seront gonflés par la presse à sensation de l’époque, créant ainsi un climat de peur dans la bourgeoisie qui se méfiait déjà de la classe ouvrière. Cette peur permettra au pouvoir de réprimer durement les mouvements de revendications sociales, et notamment les premières manifestations du 1er Mai dont les événements fondateurs de Chicago connaîtront d’ailleurs leur épilogue par la pendaison de quatre anarchistes[4]. Cette forme d’action directe isolée destinée à frapper un grand coup et à marquer les esprits, mais qui ne s’appuyait pas sur un mouvement social important sera condamnée par Lénine qui lui opposait la violence de masse, organisée et subordonnée à la nécessité de l’organisation révolutionnaire[5]. Lénine parlait sur base de l’expérience concrète, lui qui avait été déporté en Sibérie avec sa mère suite à un attentat manqué contre Alexandre III par un groupe auquel son frère Alexandre participait et qui était lié à la « Volonté du Peuple », mouvement populiste démantelé six ans plus tôt après avoir assassiné le Tsar Alexandre II, mais dont l’influence dans le mouvement révolutionnaire russe reste important jusqu’à l’écrasement de la révolution de 1905.

Notons enfin, mais le fait est largement connu, que c’est un assassinat de ce type le 28 juin 1914 à Sarajevo par un étudiant nationaliste serbe, Gavrilo Princip, manipulé par les services secrets serbes via l’organisation « La main noire » qui mit le feu aux poudres et déclenchera la guerre de 14-18.

Version maximaliste

La définition du Larousse, si elle permet de cerner une partie non négligeable des terrorismes, en évacue cependant une dimension importante, qui plus est sa dimension originelle, celle de désigner un régime politique qui maintient son pouvoir et sa domination sur une population aux moyens de la peur. Les exemples pourraient ici aussi être très nombreux. La politique coloniale des pays européens, les dictatures militaires d’Amérique Latine - soutenue par les USA à travers l’opération Condor, les régimes Fascistes, la période Stalinienne, le maccarthisme[6]… Pendant la guerre froide, en Europe de l’Ouest, on a beaucoup insisté sur les actes de l’Extrême gauche dans les années 70-80. Des Cellules Communistes Combattantes en Belgique aux Brigades rouges italienne, en passant par la Fraction armée rouge en Allemagne. Mais ces actions, qui reflètent l’évolution d’une partie extrêmement minoritaire de l’Extrême gauche qui n’arrivera jamais à dépasser le soutien lui permettant la clandestinité pour passer à une liaison avec un mouvement de masse qu’il était censé préparer, ne doivent pas nous faire oublier les groupes mis en place par les Américains pour protéger leurs intérêts en cas de trop grande agitation communiste. On parlera ici du réseau Gladio, de la Loge P2 en Italie, ou d’assassinats de personnalités comme celle de Julien Lahaut à son domicile le 18 août 1950[7]. Ou encore de l’action des Contras au Nicaragua. Sur ce dernier point, l’utilisation de groupes armés n’est pas prête de disparaître, mais est en pleine mutation avec la modification du métier de mercenaire en société de gardiennage « musclée »[8].

C’est dans ce sens que Le petit Robert[9] nous semble plus correct que Le Larousse lorsqu’il définit le Terrorisme comme « l’emploi systématique des mesures d’exception, de la violence, pour atteindre un but politique (prise, conservation, exercice du pouvoir…) et spécialt. Ensemble des actes de violence (attentats individuels ou collectifs, destructions) qu’une organisation politique exécute pour impressionner la population et créer un climat d’insécurité ».

Cette définition repositionne ainsi les terrorismes dans un ensemble plus large qui pose en fait la question de l’utilisation de la violence. Et il n’est pas besoin d’être membre d’un des deux extrêmes de l’échiquier politique pour reconnaître la légitimité de l’utilisation de celle-ci : « Le droit à l’insurrection, pourtant, est un droit de l’homme, non seulement affirmé avec insistance dans la Déclaration de 1793 (articles 33, 34 et 35), mais déjà présent dans celle de 1789 qui proclame dans son article 2 le droit à la « résistance à l’oppression » et réaffirmé dans la Déclaration universelle de 1948 qui reconnaît le « suprême recours » que constitue la « révolte contre la tyrannie et l’oppression » (préambule). C’est au nom de ce principe que de nombreux mouvements de résistance, tels l’ANC en Afrique du Sud, ont eu recours à la lutte armée. »[10]

C’est sur cette même base que l’Armée républicaine Irlandaise (IRA) a été fondée en 1918 et obtiendra en trois ans l’indépendance de l’Irlande du Sud, avant de renaître en 1969 en Ulster. Sur cette base que tous les mouvements de libération (sociaux, ethniques, religieux…) se fondent. Durant la guerre 40-45, on ne le rappellera jamais assez, la Résistance n’hésitera pas à recourir au sabotage, à l’exécution de traîtres, au sabotage d’installations ferroviaires… subissant de nombreuses pertes dans une lutte menée par les Allemands contre « les terroristes ». Avant et après cette période, la limite entre « Résistants » et « Terroristes » sera toujours floues, au point que l’on peut sérieusement se demander si ce que l’on reprend sous le vocable de Résistant, ne serait pas simplement un terroriste victorieux, ou, à tout le moins, un partisan d’une cause à laquelle on adhère. Les Vietcongs, les membres du FLN algérien, les combattants sionistes d’avant 48… tous ont été qualifiés de terroristes avant d’être considéré comme des héros de leur peuple.

Un concept éminemment politique

Le terrorisme apparaît donc, dès qu’il quitte son historicité, comme un terme servant plus à jeter l’opprobre et le discrédit sur un mouvement ou une cause afin de pouvoir la combattre plus facilement, via notamment des moyens extralégaux ou des mesures d’exceptions, que comme un concept permettant d’appréhender une réalité. L’exemple de l’utilisation des attentats du 11 mars 2004 à Madrid par le gouvernement Aznar pour attaquer l’ETA est à cet égard significatif. Comme la réaction très saines du peuple espagnol qui ne s’est pas laissé prendre par la propagande officielle relayée complaisamment par les médias.

Face aux terrorismes, face aux recours à la violence et au débat sur sa légitimité, il faut rejeter les postulats moraux. Seule une analyse critique de la réalité objective et des contradictions en présence confrontées à l’adéquation entre le but final et les moyens utilisés doit permettre à chacun de se forger son opinion.

Notes

[1] Espace de Libertés n°298 de février 2002. Contributions d’Alain Colignon, Claude Javeau, Marcel Deprez, Jérôme Jamin, Jean-Paul Marthoz, Sergio Carrozo, Valérie Peclow, François Dubuisson, Jean Sloover et Michel Gottschalk.

[2] Serge Berstein et Pierre Milza, Dictionnaire historique des fascismes et du nazisme, Bruxelles, complexe, 1992

[3] Voir les articles de Gérard Chaliand in Encyclopaedia Universalis, T.22, pp.421-427 et de Jean-Christophe Buisson in Le Siècle rebelle. Dictionnaire de la contestation au XXe siècle.Le terrorisme international, coll. XXe siècle, Paris-Firenze, Casterman-Giunti, 1994. Paris, Larousse, 2004, pp.885-888 ainsi que le livre de Luigi Bonanate,

[4] Uri Eisenzweig, Fictions de l’anarchisme, (s.l), Christian Bourgeois, 2001.

[5] Notice de Georges Labica, Terrorisme in Georges Labica (s. dir.) Dictionnaire critique du Marxisme, Paris, PUF, 1982, pp.876-878.

[6] Howard Fast, Mémoire d’un rouge, Paris, Rivage, 2000. Cette autobiographie de l’auteur de Spartacus, qui était membre du PC américain, est très instructive sur cette période de l’histoire des USA qui s’étend de 1950 à 1954, et la manière dont une démocratie peut briser des gens sans recourir à des déportations, exécutions…

[7] Jan Willems (s.dir), Gladio, Bruxelles, EPO, 1991 et Rudy Van Doorslaer et Etienne Verhoyen, L’assassinat de Julien Lahaut, Anvers, EPO, 1987.

[8] Voir le dossier paru dans Le Monde diplomatique n°608 de novembre 2004, pp.22-29.

[9] Nous avons utilisé l’édition de 1987, mais n’avons pu vérifier dans une édition plus récente.

[10] Gilles Manceron, Résistances et terrorismes article parut dans la revue de la Ligue des droits de l’homme française Hommes et Libertés, n°117 de janvier-mars 2002 dont le thème était Terrorisme et violence politique, et dont le texte est repris sur le site internet www.ldh-france.org.

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