Ce jeudi 10 juillet, La Libre Belgique a publié le texte suivant que je co-signe dans le cadre du Mouvement du 15 décembre.
Les intérêts notionnels sont un énorme cadeau fiscal qui représente environ 2,4 à 3 milliards d'euros accordés aux sociétés chaque année. Chaque ménage du pays offre ainsi en moyenne 600 euros par an à ces sociétés. Est-il normal que l'Etat favorise celles-ci au détriment des travailleurs actifs et des allocataires sociaux ? Nous ne le pensons pas.
En effet, la part des salaires dans le PIB n'a cessé de diminuer. De 1981 à aujourd'hui, la rémunération moyenne d'un salarié accuse une perte de plus de 15 pc par rapport à l'évolution du PIB. Et c'est encore pire pour les allocataires sociaux. Exemple : une pension moyenne représentait 38 pc du salaire moyen en 1980, mais plus que 28 pc en 2003. Les bénéfices des sociétés, par contre, ont explosé. Ils sont passés de 8 milliards d'euros en 1981 à 61,5 milliards en 2006. La part des sociétés dans le PIB a ainsi doublé, passant de 9 pc à 19 pc. Et la part de leur revenu disponible (après transferts sociaux et fiscaux) a même été multipliée par 2,5.
Dans ces conditions, faut-il accepter la poursuite d'une politique fiscale de droite imposée depuis 1999 par les libéraux Didier Reynders et Guy Verhofstadt (réforme fiscale favorisant les plus hauts revenus, amnisties fiscales "uniques" à répétition, réduction de l'impôt des sociétés, etc.) et dont les intérêts notionnels sont le dernier avatar ? Une logique acceptée par les socialistes dans les coalitions violettes (PS et SP.A ont voté la loi sur les intérêts notionnels) et que l'on retrouve aujourd'hui dans les orientations du gouvernement Leterme.
Faut-il accepter de continuer dans cette voie ? Nous en sommes d'autant moins convaincus que cette déduction fiscale n'a d'autre "bienfait" avéré que d'accroître les bénéfices des sociétés, alors qu'elle présente de nombreux effets pervers.
Contrairement aux affirmations du ministre Reynders, les intérêts notionnels ne sont pas conditionnés à des investissements (et encore moins à des créations d'emplois). Ils constituent une déduction fiscale inconditionnelle. Contrairement à la déduction pour investissement qui... a été supprimée pour financer les intérêts notionnels.
Les intérêts notionnels ont été inventés pour maintenir le privilège fiscal inouï que pouvaient obtenir les multinationales créant un centre de coordination. L'Union européenne ayant condamné ce régime fiscal pour son aspect discriminatoire, le gouvernement l'a purement et simplement étendu à toutes les entreprises, sous la forme des intérêts notionnels. Une attitude folle sur le plan budgétaire.
Les intérêts notionnels coûtent quatre à cinq fois plus cher que le budget initial de 500 millions d'euros. Un chef d'entreprise faisant une telle erreur serait licencié sur-le-champ. Le ministre des Finances, lui, n'a même pas dû s'expliquer sur les causes de cette erreur. Si c'en est une...
Différents facteurs font que le coût des intérêts notionnels va encore augmenter ces prochaines années, notamment l'augmentation des taux de la déduction, ainsi qu'un effet d'autoaccumulation : les intérêts notionnels accroissent les bénéfices qui accroissent eux-mêmes les intérêts notionnels.
Les intérêts notionnels s'ajoutent à une flopée d'autres cadeaux offerts aux sociétés. Par exemple, les réductions de cotisations patronales (5,07 milliards d'euros en 2007), les réductions de précompte professionnel (0,7 milliard d'euros en 2007), les subsides régionaux, l'exonération des plus-values sur actions, etc.
Les intérêts notionnels n'ont pas d'effet sur les investissements des entreprises. Ceux-ci ont eu une croissance moins élevée en 2006 (première année des intérêts notionnels) que les deux années précédentes. Selon ce qui en a filtré dans "L'Echo", une étude secrète du SPF Finances affirme "ne pas constater de hausse des flux d'investissement direct entrant (étranger), ni d'effet de localisation en Belgique de la base taxable. En d'autres termes, les intérêts notionnels n'auraient quasiment pas eu d'impact sur l'économie réelle du pays".
Les intérêts notionnels n'ont pas eu le moindre effet visible sur l'emploi, contrairement à ce qu'affirme Didier Reynders. Ce dernier est d'ailleurs contredit par un de ses conseillers, Roland Rosoux, qui explique qu'il est impossible de mesurer un tel effet. Sur base d'échantillons réduits, on constate même l'inverse : les 24 entreprises de plus de mille travailleurs ayant mentionné des intérêts notionnels dans leurs comptes annuels en 2006 ont réduit leur emploi global de 1 102 équivalents temps-plein. Alors qu'elles ont déduit en tout 159 millions d'euros d'intérêts notionnels.
Les intérêts notionnels ont fait passer le taux d'imposition implicite (impôt réellement payé par rapport au bénéfice) des sociétés de 23,7 pc (2005) à 16 pc (2006). Alors que l'Europe des Quinze se situe à 23,8 pc. Les intérêts notionnels alimentent ainsi un dumping fiscal qui pousse les autres pays à adopter des mesures similaires.
Les intérêts notionnels favorisent les sociétés les plus riches. Osons une comparaison. Aujourd'hui, une personne qui emprunte pour acheter une maison peut déduire fiscalement les intérêts. Si on appliquait des sortes d'intérêts notionnels aux ménages propriétaires, ceux qui ont autofinancé l'acquisition de leurs immeubles (grâce à des héritages ou à une importante fortune personnelle) pourraient déduire fictivement des intérêts. Qui oserait alors encore parler d'une mesure pour favoriser l'accès au logement ? Qui serait assez aveugle pour ne pas conclure qu'il s'agit d'un beau cadeau pour les ménages les plus riches ?
Les intérêts notionnels ont fait l'objet de montages fiscaux des grandes entreprises pour abuser du système. Electrabel a ainsi eu recours à un montage "double dip" (double déduction) portant sur 67 millions d'euros. De plus, certaines banques ont soumis leurs montages fiscaux au service des décisions anticipées du SPF Finances, qui a donné son accord (avec l'assentiment du ministre). De telles décisions lient le fisc, qui ne pourra dès lors plus remettre en cause ces montages. On se demande dès lors s'il sera possible d'empêcher des abus qui ont déjà obtenu un blanc-seing fiscal.
Didier Reynders finance ses cadeaux fiscaux (notamment) en réduisant le personnel public, en particulier celui du SPF Finances. Il faudrait au contraire renforcer des services comme l'Inspection spéciale des impôts pour mieux contrôler les grandes entreprises et mieux combattre la grande fraude fiscale. Nous pensons qu'il faut en finir avec cette logique libérale selon laquelle les créations d'emploi passent par la multiplication de cadeaux aux entreprises. À l'inverse, en soutenant le pouvoir d'achat, on satisfait à la fois des besoins sociaux urgents tout en favorisant réellement l'emploi à travers une hausse de la consommation.
Nous estimons que les milliards dépensés pour les intérêts notionnels devraient plutôt être utilisés, spécifiquement, à des mesures soutenant le pouvoir d'achat des travailleurs actifs et des allocataires sociaux (comme l'abaissement du taux de TVA sur l'énergie, la hausse des allocations sociales, le refinancement des services publics pour maintenir les bureaux de postes, avoir plus de transports publics et un meilleur enseignement, la construction et l'isolation des logements sociaux,...). Les besoins de la population ne sont pas notionnels, mais réels. La suppression des intérêts notionnels est une nécessité sociale.
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