Cet article a été publié dans Espace de Libertés n°380 de novembre 2009, p.23
Avec la crise, l’obsession du « pouvoir d’achat » et du moindre coût est venu au devant de la scène avec encore plus d’acuité. Le débat a notamment porté sur les Hard-discounter dont le modèle par excellence est le premier employeur privé dans le monde. La société Wal-Mart est un modèle de mondialisation, on serait tenté de dire est la mondialisation.
Il y a énormément à dire sur Wal-Mart et son modèle économique[1] dont certains aspects sont tellement poussés qu’ils sont même illégaux pour les USA : « La situation est telle qu’en 2007, l’organisation de défense des droits de l’homme Human Right Watch publie un rapport de plus de 200 pages sur Wal-Mart, avec pour titre : « droits au rabais. Wal-Mart bafoue le droit des travailleurs américains à la liberté syndicale ». Du jamais vu »[2]. Deux journalistes français ont décortiqué ce « modèle » social dans un livre agréable à lire et fort bien documenté. L’ouvrage n’est ni le seul, ni le premier, à se pencher sur cette société. Il nous intéresse ici dans la mesure où il démontre des liens peut-être moins connus entre la religion et la vision sociale appliquée dans la multinationale.
Pour comprendre ces liens, il faut connaître l’histoire de Wal-Mart et plus particulièrement de son fondateur Sam Walton. Celui-ci est le modèle type du WASP de l’Amérique profonde. Il est aussi représentatif du rêve américain puisqu’il s’agit d’un self-made man qui a ouvert sa première épicerie en 1962 dans l’Arkansas. « Avec Wal-Mart, c’est résolument le monde agraire, conservateur, qui triomphe. Encore aujourd’hui, l’organisation de l’entreprise n’est pas étrangère à ce monde-là. Qu’il s’agisse de l’interdiction de fait des syndicats, inconnus et très mal vus dans les campagnes, ou encore les bas salaires. »[3]. Ces derniers, ainsi que le temps partiel généralisé, s’expliquent notamment par le fait que dans les campagnes américaines où s’est d’abord développé Wal-Mart, l’épouse du fermier ne cherchait qu’un revenu complémentaire et non un revenu principal pour faire vivre sa famille. « Ce lien entre business et religion se retrouve également dans le recrutement de Wal-Mart : l’entreprise s’est en effet appuyée sur les universités religieuses de la région pour embaucher ses managers. »[4].
Cette mentalité influencée par la religion est également présente dans le fait de ne jamais dépenser un dollar superflu, notamment dans les frais de représentation. Mais la puissance prise par les magasins Wal-Mart à des conséquences qui ne se limite à la vie dans l’entreprise où chez ses sous-traitants. Elle permet également d’influencer la société dans son ensemble : « Bien entendu, Sam Walton est conservateur et « bon chrétien ». Il soutient les efforts de l’Eglise presbytérienne à laquelle la famille appartient, et à même créé une fondation, récompensant la créativité des volontaires chargés de faire partager leur foi au voisinage. En 1991, le fonds contient six millions de dollars, dont trois destinés au grand prix du prosélytisme. Une foi qui s’accommode mal de la contraception par exemple. Wal-Mart a ainsi tenté de refuser de vendre la pilule du lendemain, mais a été forcé de le faire par la justice, en 2006. On est croyant, et anticommuniste, aussi. En 1985, Wal-Mart finance un programme pour endiguer la vague communiste en Amérique centrale et promouvoir les valeurs capitalistes. »[5]
S’intéresser à de tel modèle économique est donc bien du ressort de la laïcité tant sur le plan de la libre-pensée que de la démocratie. Car comme le dit bien la journaliste américaine Barbara Ehrenreich à partir de l’exemple de Wal-Mart : « Si donc les employés à bas salaire ne se comportent pas toujours conformément à la rationalité économique, c’est-à-dire comme des agents libres dans une démocratie capitaliste, c’est parce qu’ils travaillent dans un environnement qui n’est ni libre ni démocratique. Quand vous entrez dans l’univers des bas salaires – et des salaires moyens dans de nombreux cas – vous abandonnez vos libertés civiques à la porte, vous laissez derrière vous l’Amérique et tout ce qu’elle est censée représenter, et vous apprenez à ne pas desserrer les lèvres pendant votre journée de travail. Les conséquences de cette reddition vont bien au-delà des questions de salaire et de pauvreté. Il nous est difficile de prétendre être la première démocratie du monde, lorsqu’un grand nombre de nos concitoyens passent la moitié de leur temps de veille dans un environnement qui est l’équivalent, pour le dire en termes simples, d’une dictature. »[6]
[1] Voir Dohet Julien, La démocratie menacée par le travail précaire in Les Mondes du travail, n°7 de juin 2009, pp.145-147
[2] Gilles Biassette et Lysiane J. Baudu, Travailler plus pour gagner moins. La menace Wal-Mart. Paris, Buchet-Chastel, 2008, p.188.
[5] p.75
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire