samedi 3 mars 2012

Le capitalisme est-il compatible avec la démocratie ?


C'est sous ce titre que j'ai signé pour la première fois ce lundi 27 février l'édito de 6com, la lettre d'information socio-économique développée par la FGTB Métal Liège-Luxembourg. Je signerai dorénavant l'édito une fois par mois

Lors d’une conférence organisée dans la salle des congrès de la FGTB Liège-Huy-Waremme le jeudi 12 janvier 2012, l’économiste française Geneviève Azam posait notamment la question suivante : « la démocratie peut-elle fonctionner dans une société où la précarité augmente ? ».
La question se doit d’être posée à l’heure où l’Italie est dirigée par un gouvernement de technocrates et où la Grèce se voit mise sous tutelle européenne transformant un pouvoir démocratique en simple exécutant de mesures destinées à contenter les marchés financiers. Et où dans ses deux pays les conditions de vie des populations se dégradent. Tout comme au Portugal, en Espagne…
Et en Belgique ? Depuis le mois de décembre nous avons enfin un gouvernement. Sa formation fut le fruit d’une longue saga riche en rebondissements dont le dénouement se fera dans les 24h qui suivirent la dégradation de la note de la Belgique par l’agence de notation Standaard & Poor’s. Là où différentes pressions citoyennes, plus ou moins pertinentes, avaient échoué, une agence de notation chantre du capitalisme le plus agressif a réussi. De quoi se poser des questions.
Questions qui se multiplient à la découverte des mesures budgétaires prises par un gouvernement que l’on peut difficilement qualifier de gauche malgré la présence à sa tête de l’ancien président du Parti Socialiste. Car pour trouver les plus de 11 milliards nécessaires, c’est bien sur les dépenses et non sur les recettes que l’effort s’est principalement porté. Et au niveau des recettes nouvelles, toutes – loin de là - ne touchent pas les plus riches.
Le discours pour justifier de telles mesures est centré sur le fait que nous n’aurions pas le choix car nous serions dans une période de crise économique. Mais quelle crise ? Depuis plus de trente ans que l’on nous tient ce discours, le PIB (soit l’indicateur de la richesse produite dans notre pays) n’a cessé d’augmenter. Et celui qui lit la presse économique ne cesse de constater des bénéfices très majoritairement en hausse. Drôle de crise économique qui voit les dividendes des actionnaires exploser !
Si pour les riches actionnaires la situation ne semble donc guère mauvaise, pour les travailleurs il en est tout autrement. La dernière étude de l’Institut du Développement Durable relayée dans les médias le 23 février montre que le pouvoir d’achat a diminué, surtout pour les petits revenus. Ceux-ci ont vu le coût de la vie augmenter de 45% depuis 2000, notamment à cause des hausses du prix des loyers et de l’énergie. Une augmentation loin d’être compensée par une évolution comparable des salaires et des allocations sociales !
Et pour résoudre ce déséquilibre, que propose le gouvernement ? Un paquet de mesures de régressions sociales touchant principalement les allocataires sociaux, les femmes seules avec enfants… Les conséquences qui se marqueront dans les années qui viennent seront une augmentation de la pauvreté, particulièrement chez les jeunes et les pensionnés, qui est déjà scandaleusement élevée en Belgique (15 à 18% selon les estimations).
C’est contre cette logique d’une société de plus en plus duale où les riches continuent à s’enrichir tandis que les pauvres continuent à s’appauvrir et que ceux qui se situent au milieu disparaissent, que la FGTB a mené des actions et a fait une campagne intitulée « on a retrouvé l’argent ». Pour un petit montant de… 8 milliards d’€ dont 5 via la suppression des intérêts notionnels, ce système qui ne bénéficie qu’aux grosses multinationales et n’a aucune retombée économique réelle pour notre pays.
C’est contre cette logique qu’après-demain, mercredi 29 février une action syndicale est menée dans tous les pays européens. Et c’est dans ce cadre qu’à Liège nous nous retrouverons devant le siège de la Banque nationale sous le slogan « Oui à une Europe sociale, non à une Europe du capital ».
L’enjeu de nos mobilisations actuelles va bien au-delà d’une opposition à des mesures précises. Il s’agit de choisir le modèle de société que nous voulons.
Ne pas s’opposer aux mesures actuelles du gouvernement, ne pas défendre les alternatives crédibles proposées, accepter d’aller vers une société de plus en plus inégalitaire, c’est prendre le chemin qui a été pris dans les années 30. Et se rappeler que la démocratie n’a pas survécu au Krach économique de 1929 et à la faillite non pas alors de la Grèce mais de l’Allemagne.
C’est aussi se questionner à nouveau sur la définition que donnait du Fascisme Georges Dimitrov : « dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier. » À méditer au vu du programme de la NVa, de Marine Le Pen et de tous leurs semblables. Mais aussi de ce qui s’est passé ce dimanche 26 février chez Meister à Sprimont.

2 commentaires:

Nono a dit…

« Drôle de crise économique qui voit les dividendes des actionnaires exploser ! »
Je pense que nous sommes, presque tous, à divers degrés, des actionnaires.
• Vous avez une assurance solde restant dû pour votre crédit-hypothécaire ?
• Vous épargnez à la banque pour une épargne-pension pour vos vieux jours et la petite déduction fiscale qui l’accompagne?
• Vous avez placé vos petites économies dans une assurance vie, ou une branche 21 ou 23 « parce que les comptes d’épargne, ça rapporte des cacahuètes » ?
• Même les travailleurs qui n’ont pas le luxe de connaitre ces situations sont pour 80% d’entre eux aussi concernés : votre employeur ne fait-il pas un deuxième pilier pension – la fameuse « assurance groupe » ?
Ces sommes – colossales – sortent de nos poches, mais on s’attend à ce qu’elles y reviennent avec des rendements de 4-5-10-15%. Mais ne pensez pas qu’elle s’envolent dans les banques d’un organisme bienveillant , qui en bon père de famille, va investir dans l’économie réelle ! Cela part dans des fonds de pensions, des fonds d’investissements, qui sont responsables de la crise que nous connaissons !
En s’inscrivant dans ce système, largement encouragé par nos responsables politiques occidentaux, tant du point du discours que des cadeaux fiscaux, nous entretenons nous même le capitalisme actionnarial.
Nous avons tous des responsabilités ! Ce n’est donc pas seulement l’affaire de quelques « gros bonnets » !
Je me demande d’ailleurs pourquoi les organismes publics sont –ils juste relégués aux rôles de figurants, de suppléants, dans ce système financiarisé ?

Julien Dohet a dit…

Il est clair que nous ne sommes aucun sans contradiction et que nous avons tous une part de complicité. Le philosophe Alain Accardo a beaucoup écrit sur cela dont ceci, tiré de son livre "Le petit-bourgeois gentilhomme. La moyennisation de la société" : «Il serait relativement facile d’être de gauche s’il suffisait de vouloir changer les structures objectives externes. Il est évidemment beaucoup plus difficile de l’être quand il s’agit de clarifier et de changer la part de soi-même qui est asservie au système (…) C’est pourquoi il faut insister maintenant non seulement sur le fait que la lutte révolutionnaire pour changer les structures matérielles de la société et la lutte pour changer les mentalités, les sensibilités, le rapport aux choses extérieures, ne sont que deux aspects complémentaires d’un seul et même combat pour déraciner le capitalisme à la fois du dehors et du dedans. ».
C'est également un des aspects que je développe dans mon dernier livre "Vive la Sociale"