Cet édito de 6com est paru le 21 mai 2012
C’est ainsi que les Territoires de la Mémoire ont choisi d’intituler leur nouvelle campagne «Triangle Rouge » à la veille des élections communales et provinciales belges. Le principe en est simple et découle d’une évolution intéressante de la lutte antifasciste institutionnelle entamée depuis plusieurs années. Celle-ci ne se contente plus de combattre et dénoncer les partis clairement d’extrême droite, mais travaille à débusquer la pollution du discours dans les partis considérés comme démocratiques.
Cette évolution de la lutte antifasciste est essentielle comme nous le montre la situation politique en Europe. Partout, des partis à l’idéologie d’extrême droite progressent et influent sur le débat politique. Les élections françaises sont ainsi très illustratives. Depuis plus de 20 ans le Front National progresse s’inscrivant durablement dans le paysage politique et se banalisant. L’élection de 2002 n’est, dans ce cadre, nullement un accident, mais au contraire une étape. Et en 2012 Marine Le Pen reproduit un score quasi identique après avoir réussi à être la seule candidate de l’extrême droite alors que son père dix ans plus tôt devait composer avec la dissidence de Bruno Mégret. Mais à l’inverse de 2002 où Jacques Chirac avait été ferme sur les principes républicains, on ne peut que constater que Nicolas Sarkozy a au contraire surenchéri sur les thèmes de la sécurité et de l’immigration. Ce n’est là pas une révélation, le quinquennat ayant été marqué par une droitisation importante non seulement du discours, mais également des politiques mises en place. La fin de la campagne pour la présidentielle n’est à ce niveau non pas une dérive, mais plus une continuation et un approfondissement d’une ligne politique assumée. Comme Jean-François Kahn l’a souligné dès l’annonce des résultats du second tour, le score de Nicolas Sarkozy est inquiétant, car il démontre qu’il séduit un large électorat sur une rhétorique qui rappelle les heures noires de la IIIe République.
Trois courtes réflexions à ce propos :
1° La porosité de la droite aux idées de l’extrême droite est une réalité qui s’explique par des proximités de discours, mais aussi par l’action organisée et structurée de militants d’extrême droite ayant compris qu’ils devaient quitter leur ghetto politique pour infiltrer la droite « classique » et ainsi faire passer leurs idées. C’est la stratégie suivie par des personnes qui se sont retrouvées ministres ou conseillers dans le gouvernement Sarkozy comme, par exemple, Gérard Longuet, Alain Madelin ou Patrick Buisson. La campagne Triangle Rouge prend acte de cette évolution et de cette stratégie en décidant de traquer les idées d’extrême droite où qu’elles se trouvent.
2° Mais ne nous leurrons pas. La Gauche n’est pas immunisée contre les propos d’extrême droite. Et une dénonciation de ce discours doit analyser tous les propos et ne pas faire d’exclusive a priori. À gauche le discours sécuritaire ou sur l’immigration est parfois proche de ce que l’on retrouve ailleurs. Et au niveau de la laïcité, le juste combat contre l’immixtion du religieux dans la vie publique dérive un peu trop souvent sur un anti-islamisme qui cache mal son racisme. Car si l’anticléricalisme doit s’appliquer à toutes les religions, il ne faut pas oublier que la laïcité était à l’origine un combat pour l’émancipation qui s’attaquait à une religion dominante au service des puissants. Le « à bas les calotins » que nous sommes encore quelques-uns à crier à la fin de l’Internationale n’est ainsi nullement une attaque contre les croyants, mais une attaque contre les institutions religieuses complices d’une domination de classe. Ce que l’Islam n’est pas en Belgique.
3° Lutter contre les idées d’extrême droite, toutes les idées et partout où elles se trouvent, est donc essentiel. Mais cela ne doit pas nous faire oublier la contradiction principale. Ce sont d’abord les conditions socio-économiques qui déterminent les comportements politiques. Ce n’est donc pas un hasard si l’extrême droite revient à son importance des années trente à un moment où la répartition des richesses rejoint les niveaux de l’entre-deux-guerres. De 2001 à 2009, en seulement 8 ans, le bénéfice des entreprises en Belgique est passé de 47 à 92 milliards d’Euros. On est loin d’une crise économique ! Mais dans le même temps, l’impôt perçu par l’Etat sur ces mêmes bénéfices est resté aux alentours de 9 milliards . En clair, la redistribution des richesses a diminué de 50% ! Cette différence, c’est le monde du travail qui la paie par la réduction des services publics, l’obligation de travailler jusque 65 ans, l’augmentation de la productivité et de la flexibilité, la diminution des allocations sociales…
L’antifascisme doit donc se garder de tout idéalisme et rester concentré sur les causes et non sur les conséquences. Il ne doit pas servir de cache-sexe au système sous peine de se décrédibiliser. En Grèce, la menace principale contre la démocratie n’est pas la montée du parti Aube Dorée, mais bien les politiques d’austérité menées depuis deux ans et les nombreux signaux des élites refusant d’accepter la volonté populaire qui s’est exprimée lors des dernières élections.
Il en est de même en Belgique. L’antifascisme ne devra pas se plaindre d’une montée de l’extrême droite lors des élections communales et provinciales s’il a défendu les mesures de misère sociale mises en place par le gouvernement Di Rupo. Qu’elles soient prises par la Droite ou par la Gauche, les politiques antisociales mènent à la déliquescence du lien social et font le jeu de l’extrême droite.
Lutter réellement contre l’extrême droite implique donc de lutter contre le capitalisme.
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