Cet article a été publié dans le n°62 de la revue Aide-Mémoire d'octobre-décembre 2012, p.11
Il a été rédigé avant l'affaire du sapin de Noël de la ville de Bruxelles mais l'éclaire d'une manière particulière par un de ses passages.
Cette
chronique, malgré son objet, essaie toujours d’être en lien avec l’actualité
politique du moment. C’est ainsi que cette fois-ci nous traiterons d’un ouvrage
abordant la guerre civile espagnole et le Franquisme, prolongeant ainsi les
dernières activités développées par les Territoires de la Mémoire.
Un auteur et un genre peu suspect d’idéologie.
Et pourtant !
Un des buts
de cette chronique est de mieux appréhender l’idéologie d’extrême droite dans
toutes ses nuances et de montrer que, comme toute idéologie, elle se véhicule
sous plusieurs formes. Au-delà des livres théoriques ou politiques proprement
dit, nous avons notamment déjà abordé la BD[1] et le roman de guerre[2].
Nous illustrerons cette fois-ci notre propos avec un récit de voyage[3].
Son auteur,
ou plutôt son auteure, est une écrivaine
française ayant reçu le prix Femina en 1906
à l’âge de 21 ans. De son vrai nom Andrée Magdeleine Husson, André
Corthis n’est donc pas n’importe qui puisqu’elle fréquente Mauriac, Colette et
Duhamel dans l’entre-deux guerres. Si le
livre est écrit avant le début de la guerre, son avant-propos date du 28
octobre 1940, soit après le début de l’occupation de la France par l’Allemagne.
Et malgré que le titre du premier chapitre s’intitule « ni droites, ni
gauches »[4],
son plaidoyer de départ en faveur de l’action du Maréchal Pétain comme guide de
la France place directement le livre d’un côté de l’échiquier politique.
« Il faut avoir vu s’agiter, enflammé par de tels discours, empoisonné, le
troupeau redoutable de celles et de ceux qui, ne sachant ni lire, ni écrire,
capables seulement de signer d’une croix ou de leur pouce appuyé, se voyaient
accorder, de par les vertus du suffrage universel, le droit de décider des
destinées de leur pays. (…) Et je respire l’odeur, pire cent fois que celle des
charniers remplis par les fusillades rouges, l’odeur de pourriture morale qui
infestait ce pays et qui était faite de la désagrégation de toutes les grandes
choses qui valent la peine de vivre et de mourir : religion, famille,
patrie, cependant que l’excessive augmentation des salaires et la diminution
excessive des heures de travail ruinaient les usines et remplissaient les
cabarets. »[5].
La haine du rouge est palpable dans l’ensemble du livre[6].
Le socialisme est vu moins comme un danger sur le plan économique que comme un
danger idéologique contre le poids de la religion. Les crimes attribués aux
rouges, les destructions dont ils se sont rendus coupables émaillent
l’ouvrage : «à Madrid, il n’est pas de famille où l’on ne pleure un mort.
(…) Combien de temps durera – en admettant qu’il soit possible - l’horrible
recensement des charniers autour de la capitale ? (…) Dès l’avènement
du front populaire, tout ce qu’il y avait de meilleur en Espagne, phalangistes,
requêtes ou simplement amis de l’ordre, chrétiens, patriotes, avait été arrêté.
Les prisons regorgeaient »[7].
Le moment le plus fort du voyage est bien entendu l’Alcazar de Tolède dont la
résistance est développée durant de longues pages. Et la réécriture de
l’histoire n’est jamais loin : « Guernica. La ville sainte. Le
problème de sa destruction n’est pas résolu encore après tant de mois »[8].
Sans oublier la petite pointe d’antisémitisme et d’antimaçonnisme :
« Son erreur (à Primo de rivera père) fut de prendre la franc-maçonnerie
« à la blague » à cause de ses rites ridicules. Et c’est la
franc-maçonnerie qui, avec l’aide des Juifs et des Rouges, a empoisonné et
tenter de perdre l’Espagne »[9]
Si la
figure de Franco est bien entendu omniprésente, c’est celle d’Antonio Primo De
Rivera qui est au centre d’une véritable adoration de l’auteure qui en parle
comme d’un prophète. Elle visite d’ailleurs la prison où il est mort comme si
elle se rendait en pèlerinage. Mais à travers son témoignage, on appréhende
combien Franco au début de son règne s’est servi de cette image pour asseoir sa
propre autorité. La dictature mise en place via un parti unique recueille
l’adhésion de l’auteure qu’il est difficile de ne pas considérer comme
d’extrême droite après des passages comme celui-ci : « Sur la route,
un camion militaire passe, chargé de soldats. Tous devant le charnier font le
salut franquiste, ce salut si noble de la main qui s’ouvre et qui s’élève. Ces
bras dressés, là-bas qu’étire et multiplie le brouillard, font songer à la
pousse toute neuve parmi l’horreur de ce désert hanté de quelque vivace et
frémissante forêt. »[10].
Et de démontrer son aveuglement porté par son adhésion idéologique lors de
l’interview d’un dirigeant où elle se déclare avoir été impertinente par sa
question, mais dont la reprise de la réponse sans contestation laisse
pantois : « La liberté de la presse existe-t-elle en Espagne ? -
Mais, bien entendu… Dans la mesure où nous nous conformons aux lois de l’amour
pour le Caudillo et du respect pour l’état espagnol… Qu’est-ce que c’était
d’ailleurs que la liberté accordée par la République si ce n’est celle
d’encourager le libertinage et l’insubordination ? Quant aux droits,
parlons-en. On n’avait même plus celui de vivre. »[11]
Même si
André Corthis est une femme écrivaine, et donc quelque peu émancipée, sa vision
du rôle de la femme dans la société est particulièrement rétrograde. L’auteure
est une catholique traditionnaliste qui va jusqu’à se réjouir que le retour aux
vrais valeurs ait fait supprimer le sapin de Noël, symbole païen. Elle
s’épanche longuement dans son récit sur toutes les marques de retour en arrière
de l’Espagne qui fuit la modernité corruptrice de l’âme : « La
tradition, toujours… il n’est rien, pas un détail, un projet, où ce pays,
acharné à se retrouver, néglige de lui revenir. L’un des qualificatifs les plus
répétés, les plus souvent imprimés de la Phalange, n’est-il pas le mot :
« traditionnaliste ». »[12].
Dans ce cadre, la femme se doit de n’être qu’à la maison. Elle se réjouit
d’ailleurs que Franco aie supprimé le divorce et l’école mixte, entre autre. Et
de mettre en avant une des organisations du parti : « A ce service
(l’auxilio social) toute femme non mariée de dix-sept à trente-cinq ans, est
conviée plutôt qu’astreinte, car cela n’est pas obligatoire encore, mais est en
voie de le devenir. Il y a certains emplois de l’état auxquels déjà on ne peut
accéder qu’après l’avoir rempli. Et il est question de refuser, à celles qui
voudraient s’y soustraire, l’autorisation de se marier… La durée est de
six mois. Quelle que soit la classe à laquelle on appartienne, il est une
occasion de perfectionnement. La jeune bourgeoise apprend à mieux connaître les
questions ménagères, s’occupe des malades et des accouchées pauvres, fait la
cuisine pour elles, chez elles, soigne leurs enfants. Tandis que l’ouvrière et
la paysanne reçoivent les rudiments ou le supplément d’instruction qui les
aideront à mieux s’organiser dans la vie. A celles-ci on apprend de plus, ce
qui est charmant, à embellir leur foyer, fussent-elles dépourvues de tout
moyen»[13].
Tout un programme , complété par le fait que l’auteure se montre opposé au
Suffrage Universel[14],
et au droit de vote des femmes : « Celui que je fis il y a cinq ans,
alors que sévissait le suffrage universel et que les femmes votaient. N’est-ce
pas dans cette ville (à Valence) que j’ai rencontré quelques-unes de ces trop
récentes affranchies dont le délire politique avait emporté le bon sens ?
N’est-ce pas ici que Victoria Kent faisait ses discours incendiaires, que
Libertad Blasco Ibanez, la fille de l’écrivain, proclamait son horreur des
prêtres et des églises ; ici qu’une avocate de vingt-deux ans me déclarait
avec une définitive assurance : « moi, je suis
libre-penseuse ! » Le résultat auquel sont arrivées ces dames et le
pauvre troupeau par elles égaré, nous l’avons pu constater. Les traces en sont
partout. Comme ailleurs elles désolent, assaillent (…) »[15]
Et d’enfoncer le clou sur l’absurdité du Suffrage Universel en l’accusant de la
responsabilité de la guerre civile : « Et les élections de février
[1936] – 50% d’illettrés parmi les électeurs et les électrices !...-
amenèrent le désastreux triomphe du front populaire. On sait ce qui ne tarda
pas à suivre : l’assassinat depuis longtemps redouté, de Calvo
Sotelo ; le gouvernement aussitôt armant la lie du peuple et jusqu’aux
anarchistes par peur du légitime soulèvement des casernes ; et le pays
s’embrasant dans toute son étendue »[16]
Par cet
ouvrage, on constate une nouvelle fois que l’idéologie d’extrême droite peut
être distillée dans des médias apparemment anodins dont le caractère romanesque
amoindrirait le propos. Au point de ne plus y voir de mal comme avec Gilles de Drieu la Rochelle, roman
antisémite qui glorifie également le rôle de la Phalange dans la guerre civile
espagnole. Il nous démontre que nous devons être constamment vigilants. Au
niveau des idées, mais aussi des mots : « Celles qui commandent le
font avec la même gentillesse que mettent à obéir les subordonnées.
« Camarade », c’est le nom par lequel entre elles comme entre eux se
désignent les phalangistes. J’avoue n’apprécier pas beaucoup ce mot qui pour
nous évoque tout le contraire je crois, de ce qui règne ici. Mais saint
Augustin n’a-t-il pas dit que les mots étaient « des vases exquis et
précieux… » ? La forme peut rester la même, le contenu varie, et le
contenu seul importe ».[17]
Notes
[2] Le Militaria, porte d'entrée de l'idéologie d'extrême droite
in A-M n °46 d'octobre-novembre-décembre
2008
[3] André Corthis, L’Espagne de la victoire, Paris, Fayard, 1941, 252p.
[4] Un vrai
fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in
A-M n°31 de janvier-février-mars 2005
[5] P.8
[6] L’anticommunisme d’un transfuge in
A-M n°59 de janvier-mars 2012
[7] P.49
[8] P.23
[9] P.186
[10] P.53
[11] P.230
[12] P.89
[13] P.90
[14] Le
refus de la démocratie parlementaire
in A-M n°37 de juillet-août-septembre 2006
[15] Pp.214-215
[16] P.16
[17] P.102
2 commentaires:
Je suis tombé par hasard sur ce livre que j'ai trouvé un peu effrayant. Je n'ai pas eu le courage d'en faire l'analyse et vous félicite de l'avoir fait.
D'après l'article "une française au coeur du premier franquisme" (*)le voyage s'est effectué de décembre 39 à Mi-Janvier 40, donc durant la drôle de guerre.
J'aimerais savoir quel a été l'attitude de l'auteur durant la guerre, ses biographies étant muettes sur le sujet.
Cordialement.
*) Gregorio Le voyage dans le monde ibérique Université de St Etienne
Bonjour,
Je n'ai pas d'informations sur son attitude durant la guerre. Comme vous le mentionnez, les biographes sont muets à ce sujet.
Toutes informations est donc la bienvenue
Enregistrer un commentaire