Cet article est paru dans la Revue aide-Mémoire n°92
d'avril-mai-juin 2020, p.11. Un numéro spécial féminisme
On retrouve au sein de l’extrême droite des personnes
atteintes de ce qui se rapproche du syndrome de l’oncle Tom. Soit
l’intériorisation par un·e dominé·e des comportements, attitudes et pensées de celles
et ceux qui le ou la dominent au point parfois d’en être soi-même un promoteur
ou une promotrice. Nous avions déjà esquissé cette posture dans cette chronique
quand nous avons parlé des homosexuels au sein de l’extrême droite[1].
Dans ce numéro spécial, nous éclairerons cet aspect avec l’exemple du genre.
Des femmes
réactionnaires
Pour reprendre la citation célèbre de Françoise Giroud "La femme serait vraiment l'égale de
l'homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente.",
on peut souligner qu’au sein de l’extrême droite certaines femmes arrivent à
être aussi réactionnaires que les hommes. On sait combien Marine Le Pen tente
d’instrumentaliser la laïcité[2]
et combien sa nièce Marion a fait sécession pour contester une ligne trop lisse
visant à la respectabilité au profit d’une ligne plus dure revenant à certains
fondamentaux réactionnaires de l’extrême droite, notamment sur les questions
éthiques portées par « la manif pour tous ». On connait un peu moins
les brigandes, groupe musical liée à un groupuscule sectaire qui se définit
comme voulant vivre en clan, dénoncé comme tel y compris par une frange de
l’extrême droite à la suite du journal Rivarol.
Les Brigandes, dont le nom est une référence explicite aux vendéens royalistes
et catholiques ayant lutté contre les armées de la Révolution, se présentent
elles-mêmes comme « un groupe de 7 chanteuses engagées dans la
contre-culture antimondialiste et identitaire »[3]
et dont les titres des albums est un programme en soi allant de Grand Remplacement à J’élucubre à Sion en passant par France notre Terre ou Foutez le camp !. Eugénie Bastié, dont
nous analysons ici le dernier ouvrage[4],
incarne une autre forme de cette droite catholique réactionnaire et
conservatrice[5]
active notamment au sein du Figaro et
qui a connu un nouvel élan médiatique dans le cadre du mouvement de « la
manif pour tous » et que d’aucun·e qualifie parfois de « zemmour au
féminin ». C’est donc sans réelle surprise que ses deux ouvrages sont
publiés aux très catholiques éditions du Cerf.
Dans son livre, Le
Porc émissaire, l’auteure se livre un peu : « Lorsque j’étais
adolescente, ce film (autant en emporte le vent) était mon préféré et j’avoue
que pendant longtemps Rhett Butler constitua mon idéal masculin. Je me sentais
aussi libre que Scarlett mais ne comprenais pas que cette idiote pût préférer
cette vieille guimauve d’Ashley, sorte de Charles Ingalls en uniforme
confédéré, au cynique mais aventureux Rhett avec qui au moins on ne devait
guère s’ennuyer. Les mauvaises langues liront dans cette passion de jeunesse
une prédilection précoce pour la soumission, expliquant ma défense acharnée du
patriarcat »[6].
Et d’ajouter en évoquant le « texte des 100 » signée notamment par
Catherine Deneuve et pour lequel elle est contactée : « (…) j’étais mal à
l’aise avec le ton et l’orientation idéologique de ce manifeste clairement
libertaire. Les générations qu’il rassemble, la plus jeune des signataires
devant avoir 35 ans, ne sont pas la mienne et je ne me reconnais pas dans cette
défense inconditionnée de la liberté sexuelle. Je suis d’un autre temps, celui
précisément d’un droit d’inventaire des faux affranchissements et des vraies
servitudes. Entre un libertarisme pour lequel le corps ne compte que comme objet
à la merci de la volonté et un puritanisme qui surévalue l’importance de la
chair au point d’y enchainer la conscience, faut-il vraiment choisir ? »[7].
Cette forme de dichotomie imposée dans le raisonnement est une autre forme du
concept cher à l’extrême droite de la troisième voie entre le capitalisme et le
communisme. Ici aussi il mène vers une voie conservatrice et réactionnaire et
non vers une société plus égalitaire et solidaire.
Une recherche d’un
juste milieu qui penche (très) à droite
L’auteure insiste sur l’aspect soit disant équilibré et
de bon sens : « Ce livre essaiera d’aborder la question du désir et de la
relation entre les sexes à la lumière qui convient : ni les projecteurs de la
transparence, ni la lampe rouge des lupanars, mais le clair-obscur qui convient
à toute pensée nuancée ». Dans un style pamphlétaire ne s’encombrant que
rarement de références et de sources, Bastié multiplie les exemples visant à démontrer
l’excès du mouvement me too qu’elle compare à Salem et rapproche du puritanisme
anglo-saxons qui menacerait la spécificité culturelle française : «
Nombreux sont ceux qui, à raison, dénoncent le patriarcat d’importation qu’est
l’islamisme radical et à sa prétention à reléguer les femmes au second rang.
Mais encore plus nombreux sont ceux qui s’aveuglent sur le matriarcat
d’importation qu’est le féminisme radical américain et nient la menace qu’il
fait peser sur la spécificité culturelle française »[8].
Cette spécificité c’est notamment la galanterie, dont si elle reconnait qu’elle
est une construction sociale d’une élite oisive, elle oublie l’âge très jeune
des filles concernées et le peu de mariage d’amour à une époque ici idéalisée
des « amours galantes », qui « Finalement conspuée, la culture de la
galanterie sera balayée par la fièvre rousseauiste qui maudira l’artifice au
profit d’une nature primitive qu’il s’agira d’exalter. Nature ou culture, tel
est bien l’enjeu qui structure les revendications néo-féministes »[9].
Ce passage est intéressant car au-delà d’un discours qui peut paraître
progressiste et mesuré il fait craquer le vernis et montre les aspects
réactionnaires du discours et ses accointances, au minimum, avec la vision de
la société portée par l’extrême droite adversaire de Rousseau, de la Révolution
française et de son héritage, ainsi que d’un discours naturaliste. Il n’est
donc pas étonnant de voir Bastié insister sur les différences biologiques, et
bien entendu surtout l’aspect sexuel de la reproduction, qui expliqueraient les
comportements amoureux et le côté collectionneur de l’homme. « La maternité,
qui était compensée par la domination masculine, est devenue puisque celle-ci a
disparu un vrai privilège féminin. Ce n’est ni en réduisant ces inquiétudes
légitimes aux fantasmes d’un antiféminisme de combat, ni en entretenant les
hommes dans leur désarroi que nous sortirons de la crise. C’est en quoi Me Too
ne représente pas une colonne révolutionnaire en marche, mais la voiture balai
des derniers vestiges d’une virilité en lambeaux »[10]
Et toujours cette
inégalité naturelle immuable[11]
C’est donc clairement contre le discours égalitariste
qu’elle s’élève malgré les obstacles du « politiquement correct ». Un
concept qui se surgit pas par hasard mais qui permet aussi de venir avec un
racisme à peine déguisé par une critique de l’islamisme : « Il est
d’ailleurs frappant d’observer que la libération de la parole, lorsqu’elle
touche à la parole « raciste » ou plus simplement à la légitime inquiétude
culturelle, est condamnée unanimement par cette même gauche qui encense la
parole libérée des femmes. De même la pratique de l’ «amalgame », sans
cesse reprochée à ceux qui évoquent la radicalisation islamiste ou le
terrorisme est utilisée ici sans complexe. »[12]
On appréciera à leur juste valeur certaines affirmations
comme celle-ci : « Hier, lorsque la morale régulait encore les mœurs et
continuait d’imposer des normes sévères telles que la chasteté, la fidélité ou
l’interdiction de l’avortement, la transgression était punie par l’autorité
mais le transfuge n’était plus mis au ban de la société ; la fille-mère, la
putain, l’homosexuel étaient moralement condamnés mais socialement tolérés »[13].
A l’image du « racisme anti-blanc », Bastié arrive à faire le tour de
force de renverser totalement le problème et d’en venir à dire que c’est la
masculinité qui est en crise et l’homme qui serait victime car son identité
serait plus construite et contraignante : « La grande idéologie du temps,
le féminisme, était en panne de bourreaux. A Cologne en 2016, elle était restée
aveugle aux viols commis par des migrants sur des femmes allemandes. A
Washington, elle avait échoué à faire élire son égérie Hillary Clinton (…) »[14].
Il est intéressant de constater que derrière l’apparence
d’un livre dénonçant certains excès, sur lesquels on peut parfois la rejoindre
et qui constitue son cheval de troie pour ses idées réactionnaires[15],
très vite surgissent à qui est attentif les fondements de l’idéologie d’extrême
droite : inégalités naturelles immuables et rejet de la révolution
française et du communisme mis dans le même sac. Auquel on rajoutera avec ce
livre le féminisme « Le patriarcat, c’est-à-dire l’institutionnalisation de la
domination masculine, a été détruit tout comme l’Ancien régime a volé en éclat
à la Révolution française. Les Républicains ont-ils continué de clamer que la
monarchie était encore symboliquement présente et qu’il fallait l’éradiquer des
esprits comme on l’avait fait disparaître des lois ? Oui, et ce fut la Terreur.
De même, les féministes continuent de traquer le patriarcat dans les reins et dans
les cœurs, alimentant par là une nouvelle terreur »[16]
Le
titre pouvant donner l’impression d’une redondance vise à souligner qu’une
réaction progressiste à Me too/balance ton porc est possible, qui dénonce
certains des excès sans pour autant prôner des solutions réactionnaires.
[1]
Voir Un homosexuel collaborationniste
in AM n°68 d’avril-juin 2014
[2]
Voir aussi sur cette instrumentalisation Voltaire
comme alibi à la rupture du cordon sanitaire in AM n°89 de juillet-septembre 2019
[3]
Voir leur site, www.lesbrigandes.com
[4] Bastié,
Eugénie, Le porc émissaire. Terreur ou
contre-révolution, Paris, Le Cerf, 2018
[5]
Voir La Loi du décalogue in AM n°64 d’avril-juin 2013
[6]
P.12
[7]
P.53
[8]
p.61
[9]
P.66
[10]
P.155
[11]
Voir l’ensemble de notre chronique et le concept de Darwinisme social, mais ici
nous renverrons principalement à L’inégalité
comme étoile polaire de l’extrême droite in AM n°66 d’octobre-décembre 2013
[12]
P.26
[13]
P.128
[14]
P.13. Sans être une invention de l’extrême droite, les faits de Cologne sont à
nettement relativiser. voir https://www.liberation.fr/checknews/2019/07/12/quel-est-le-bilan-judiciaire-des-agressions-du-reveillon-2015-a-cologne_1738995
[15]
Voir De la porosité de la droite envers
l’extrême droite in AM n°84
d’avril-juin 2018,
[16] Pp.144-145
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