mercredi 22 avril 2020

La réaction réactionnaire à balance ton porc


 Cet article est paru dans la Revue aide-Mémoire n°92
d'avril-mai-juin 2020, p.11. Un numéro spécial féminisme

On retrouve au sein de l’extrême droite des personnes atteintes de ce qui se rapproche du syndrome de l’oncle Tom. Soit l’intériorisation par un·e dominé·e des comportements, attitudes et pensées de celles et ceux qui le ou la dominent au point parfois d’en être soi-même un promoteur ou une promotrice. Nous avions déjà esquissé cette posture dans cette chronique quand nous avons parlé des homosexuels au sein de l’extrême droite[1]. Dans ce numéro spécial, nous éclairerons cet aspect avec l’exemple du genre.

Des femmes réactionnaires 
Pour reprendre la citation célèbre de Françoise Giroud  "La femme serait vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente.", on peut souligner qu’au sein de l’extrême droite certaines femmes arrivent à être aussi réactionnaires que les hommes. On sait combien Marine Le Pen tente d’instrumentaliser la laïcité[2] et combien sa nièce Marion a fait sécession pour contester une ligne trop lisse visant à la respectabilité au profit d’une ligne plus dure revenant à certains fondamentaux réactionnaires de l’extrême droite, notamment sur les questions éthiques portées par « la manif pour tous ». On connait un peu moins les brigandes, groupe musical liée à un groupuscule sectaire qui se définit comme voulant vivre en clan, dénoncé comme tel y compris par une frange de l’extrême droite à la suite du journal Rivarol. Les Brigandes, dont le nom est une référence explicite aux vendéens royalistes et catholiques ayant lutté contre les armées de la Révolution, se présentent elles-mêmes comme « un groupe de 7 chanteuses engagées dans la contre-culture antimondialiste et identitaire »[3] et dont les titres des albums est un programme en soi allant de Grand Remplacement à J’élucubre à Sion en passant par France notre Terre ou Foutez le camp !. Eugénie Bastié, dont nous analysons ici le dernier ouvrage[4], incarne une autre forme de cette droite catholique réactionnaire et conservatrice[5] active notamment au sein du Figaro et qui a connu un nouvel élan médiatique dans le cadre du mouvement de « la manif pour tous » et que d’aucun·e qualifie parfois de « zemmour au féminin ». C’est donc sans réelle surprise que ses deux ouvrages sont publiés aux très catholiques éditions du Cerf.
Dans son livre, Le Porc émissaire, l’auteure se livre un peu : « Lorsque j’étais adolescente, ce film (autant en emporte le vent) était mon préféré et j’avoue que pendant longtemps Rhett Butler constitua mon idéal masculin. Je me sentais aussi libre que Scarlett mais ne comprenais pas que cette idiote pût préférer cette vieille guimauve d’Ashley, sorte de Charles Ingalls en uniforme confédéré, au cynique mais aventureux Rhett avec qui au moins on ne devait guère s’ennuyer. Les mauvaises langues liront dans cette passion de jeunesse une prédilection précoce pour la soumission, expliquant ma défense acharnée du patriarcat »[6]. Et d’ajouter en évoquant le « texte des 100 » signée notamment par Catherine Deneuve et pour lequel elle est contactée : « (…) j’étais mal à l’aise avec le ton et l’orientation idéologique de ce manifeste clairement libertaire. Les générations qu’il rassemble, la plus jeune des signataires devant avoir 35 ans, ne sont pas la mienne et je ne me reconnais pas dans cette défense inconditionnée de la liberté sexuelle. Je suis d’un autre temps, celui précisément d’un droit d’inventaire des faux affranchissements et des vraies servitudes. Entre un libertarisme pour lequel le corps ne compte que comme objet à la merci de la volonté et un puritanisme qui surévalue l’importance de la chair au point d’y enchainer la conscience, faut-il vraiment choisir ? »[7]. Cette forme de dichotomie imposée dans le raisonnement est une autre forme du concept cher à l’extrême droite de la troisième voie entre le capitalisme et le communisme. Ici aussi il mène vers une voie conservatrice et réactionnaire et non vers une société plus égalitaire et solidaire.

Une recherche d’un juste milieu qui penche (très) à droite
L’auteure insiste sur l’aspect soit disant équilibré et de bon sens : « Ce livre essaiera d’aborder la question du désir et de la relation entre les sexes à la lumière qui convient : ni les projecteurs de la transparence, ni la lampe rouge des lupanars, mais le clair-obscur qui convient à toute pensée nuancée ». Dans un style pamphlétaire ne s’encombrant que rarement de références et de sources, Bastié multiplie les exemples visant à démontrer l’excès du mouvement me too qu’elle compare à Salem et rapproche du puritanisme anglo-saxons qui menacerait la spécificité culturelle française : « Nombreux sont ceux qui, à raison, dénoncent le patriarcat d’importation qu’est l’islamisme radical et à sa prétention à reléguer les femmes au second rang. Mais encore plus nombreux sont ceux qui s’aveuglent sur le matriarcat d’importation qu’est le féminisme radical américain et nient la menace qu’il fait peser sur la spécificité culturelle française »[8]. Cette spécificité c’est notamment la galanterie, dont si elle reconnait qu’elle est une construction sociale d’une élite oisive, elle oublie l’âge très jeune des filles concernées et le peu de mariage d’amour à une époque ici idéalisée des « amours galantes », qui « Finalement conspuée, la culture de la galanterie sera balayée par la fièvre rousseauiste qui maudira l’artifice au profit d’une nature primitive qu’il s’agira d’exalter. Nature ou culture, tel est bien l’enjeu qui structure les revendications néo-féministes »[9]. Ce passage est intéressant car au-delà d’un discours qui peut paraître progressiste et mesuré il fait craquer le vernis et montre les aspects réactionnaires du discours et ses accointances, au minimum, avec la vision de la société portée par l’extrême droite adversaire de Rousseau, de la Révolution française et de son héritage, ainsi que d’un discours naturaliste. Il n’est donc pas étonnant de voir Bastié insister sur les différences biologiques, et bien entendu surtout l’aspect sexuel de la reproduction, qui expliqueraient les comportements amoureux et le côté collectionneur de l’homme. « La maternité, qui était compensée par la domination masculine, est devenue puisque celle-ci a disparu un vrai privilège féminin. Ce n’est ni en réduisant ces inquiétudes légitimes aux fantasmes d’un antiféminisme de combat, ni en entretenant les hommes dans leur désarroi que nous sortirons de la crise. C’est en quoi Me Too ne représente pas une colonne révolutionnaire en marche, mais la voiture balai des derniers vestiges d’une virilité en lambeaux »[10]

Et toujours cette inégalité naturelle immuable[11]
C’est donc clairement contre le discours égalitariste qu’elle s’élève malgré les obstacles du « politiquement correct ». Un concept qui se surgit pas par hasard mais qui permet aussi de venir avec un racisme à peine déguisé par une critique de l’islamisme : « Il est d’ailleurs frappant d’observer que la libération de la parole, lorsqu’elle touche à la parole « raciste » ou plus simplement à la légitime inquiétude culturelle, est condamnée unanimement par cette même gauche qui encense la parole libérée des femmes. De même la pratique de l’ «amalgame », sans cesse reprochée à ceux qui évoquent la radicalisation islamiste ou le terrorisme est utilisée ici sans complexe. »[12]
On appréciera à leur juste valeur certaines affirmations comme celle-ci : « Hier, lorsque la morale régulait encore les mœurs et continuait d’imposer des normes sévères telles que la chasteté, la fidélité ou l’interdiction de l’avortement, la transgression était punie par l’autorité mais le transfuge n’était plus mis au ban de la société ; la fille-mère, la putain, l’homosexuel étaient moralement condamnés mais socialement tolérés »[13]. A l’image du « racisme anti-blanc », Bastié arrive à faire le tour de force de renverser totalement le problème et d’en venir à dire que c’est la masculinité qui est en crise et l’homme qui serait victime car son identité serait plus construite et contraignante : « La grande idéologie du temps, le féminisme, était en panne de bourreaux. A Cologne en 2016, elle était restée aveugle aux viols commis par des migrants sur des femmes allemandes. A Washington, elle avait échoué à faire élire son égérie Hillary Clinton (…) »[14].
Il est intéressant de constater que derrière l’apparence d’un livre dénonçant certains excès, sur lesquels on peut parfois la rejoindre et qui constitue son cheval de troie pour ses idées réactionnaires[15], très vite surgissent à qui est attentif les fondements de l’idéologie d’extrême droite : inégalités naturelles immuables et rejet de la révolution française et du communisme mis dans le même sac. Auquel on rajoutera avec ce livre le féminisme « Le patriarcat, c’est-à-dire l’institutionnalisation de la domination masculine, a été détruit tout comme l’Ancien régime a volé en éclat à la Révolution française. Les Républicains ont-ils continué de clamer que la monarchie était encore symboliquement présente et qu’il fallait l’éradiquer des esprits comme on l’avait fait disparaître des lois ? Oui, et ce fut la Terreur. De même, les féministes continuent de traquer le patriarcat dans les reins et dans les cœurs, alimentant par là une nouvelle terreur »[16]



Le titre pouvant donner l’impression d’une redondance vise à souligner qu’une réaction progressiste à Me too/balance ton porc est possible, qui dénonce certains des excès sans pour autant prôner des solutions réactionnaires.
[1] Voir Un homosexuel collaborationniste in AM n°68 d’avril-juin 2014
[2] Voir aussi sur cette instrumentalisation Voltaire comme alibi à la rupture du cordon sanitaire in AM n°89 de juillet-septembre 2019
[3] Voir leur site, www.lesbrigandes.com
[4] Bastié, Eugénie, Le porc émissaire. Terreur ou contre-révolution, Paris, Le Cerf, 2018
[5] Voir La Loi du décalogue in AM n°64 d’avril-juin 2013
[6] P.12
[7] P.53
[8] p.61
[9] P.66
[10] P.155
[11] Voir l’ensemble de notre chronique et le concept de Darwinisme social, mais ici nous renverrons principalement à L’inégalité comme étoile polaire de l’extrême droite in AM n°66 d’octobre-décembre 2013
[12] P.26
[13] P.128
[14] P.13. Sans être une invention de l’extrême droite, les faits de Cologne sont à nettement relativiser. voir https://www.liberation.fr/checknews/2019/07/12/quel-est-le-bilan-judiciaire-des-agressions-du-reveillon-2015-a-cologne_1738995
[15] Voir De la porosité de la droite envers l’extrême droite in AM n°84 d’avril-juin 2018,
[16] Pp.144-145

jeudi 26 mars 2020

Vivons-nous en démocratie ?

C'est l'intitulé de mon dernier ouvrage, publié sous forme d'un livret par le CDGAI (Le Centre de Dynamique des Groupes et d’Analyse Institutionnelle)
 
Il est téléchargeable en format pdf sur leur site

En voici le 4e de couverture :

"En Belgique, le fait que nous vivions en démocratie apparaît comme une évidence.
Cette évidence, l’auteur de ce livret propose de la questionner. Nous pouvons affirmer en effet qu’il est incontestable que nous ne subissons pas une dictature, mais cela ne signifie pas pour autant que «notre» démocratie est parfaite. Cette étude est fondée sur le postulat que la prise de conscience que la démocratie est une construction humaine complexe, ni hors du temps, ni hors des conflictualités traversant la société, amène la possibilité d’envisager et de produire d’autres formes de fonctionnement de celle-ci. Dès sa création, notre pays a été considéré comme une démocratie alors que seul 1 % de la population disposait du droit de vote. De même nous parlerons du suffrage universel, alors que les femmes en étaient exclues. Mais plus largement quid de la démocratie sur le lieu de travail ? Quid d’une participation active consciente au débat démocratique quand une personne lutte pour sa survie ?
Au-delà des discussions sur les améliorations d’aspects formels de la démocratie (par ex. : le mode de scrutin), le propos de l’auteur est de postuler qu’une démocratie véritable n’existe que si l’ensemble des citoyennes et citoyens qui la constituent sont socio-économiquement en mesure d’y participer. ll plaide pour que la démocratie économique et sociale vienne compléter la démocratie politique."

samedi 21 mars 2020

Conférence sur les coopératives en version audio

Une de mes conférences sur les coopératives données en juin de l'an passée à Mons est disponible en version audio. Vu qu'elle s'appuie sur de nombreux documents projetés c'est un peu particulier mais je pense que l'essentiel du message est malgré tout compréhensible.
Le lien est ici
Bonne écoute

jeudi 6 février 2020

Histoire de la conquête de la sécurité sociale

Le mercredi 5 février j'étais dans l'émission "un jour dans l'histoire" pour parler de l'histoire de la conquête de la sécurité sociale sur base de la publication de la bande dessinée "un coeur en commun, la belge histoire de la sécurité sociale".
A retrouver ici

samedi 25 janvier 2020

L’extrême droite ne recule jamais à utiliser la violence


 Cet article a été publié dans Aide Mémoire n°91 de janvier-mars 2020, p.11

Comme cette chronique le démontre l’extrême droite n’est pas un bloc monolithique mais est traversée de courants, de mouvances ayant des désaccords pouvant être importants dans un système de pensée et une vision du monde basée sur une inégalité naturalisée et immuable. Le parcours de l’auteur des Réprouvés est à cet égard illustratif.

Un parcours étonnant
Notre dernière chronique évoquait le trajet d’une figure clef de l’extrême droite française[1] qui plaçait son autobiographie dans la filiation d’un ouvrage similaire publié en Allemagne. Un ouvrage clef, publié en 1928, qu’il a traversé les époques et est toujours considéré comme une référence dans les milieux d’extrême droite, notamment par la place que lui accorde Alain De Benoist[2] dans son livre central Vu de droite[3]. Ernst Von Salomon est né le 25 septembre 1902 à Kiel. C’est donc à 16 ans qu’il s’engage à corps perdu au sein de différents groupes paramilitaires d’extrême droite dans la guerre civile qui touche l’Allemagne au moment de la défaite de la première guerre mondiale. Une période qu’il raconte dans son livre Les réprouvés que nous analysons ici. A sa sortie de prison, il continue le combat politique et sera à nouveau emprisonné brièvement en 1929. Contrairement à un grand nombre de ses compagnons de combat, Von Salomon ne s’engage pas activement dans le parti nazi car, « Plus qu’un nationalisme révolutionnaire, il professe un aristocratisme rigide »[4], et fait partie d’une mouvance oppositionnelle de droite à Hitler[5]. Ce positionnement lui vaut un bref emprisonnement mais ne l’empêche pas de travailler comme scénariste de film à la UFA[6]. En 1945 il est interné par les Américains et ne sera libéré qu’en septembre 1946. Il reprend alors ses activités et publie un autre livre important Le Questionnaire en 1951 (traduit en français en 1953) qui est une critique de la dénazification et peut être rapproché de livres sur le « résistantialisme »[7]. Von Salomon meurt le 9 août 1972 à Winsen, près de Hambourg.
Quatre années de luttes intenses
La période allant de son inscription dans les corps francs à sa libération de prison, en passant par la participation à l’assassinat de Walther Rathenau[8] le 24 juin 1922 est donc le sujet de son autobiographie. Celle-ci débute avec l’insurrection qui fait suite à l’armistice « Ainsi défilaient les lutteurs de la révolution. Était-ce donc de cette fourmilière noirâtre que devait jaillir la flamme brûlante et par elle que devait se réaliser le rêve de sang et de barricades ? Impossible de capituler devant ceux-là ! On ne pouvait avoir que mépris pour leurs prétentions sans fierté, sans certitude de victoire, sans force conquérante »[9]. Directement le jeune Von Salomon s’engage dans les forces contre-révolutionnaire : « à cette époque j’avais tout juste seize ans et j’étais élève officier à la 7e compagnie de la « Königlich Preussische Hauptkadettenanstalt ». Dans les premiers jours qui suivirent le début de la révolution je formai le projet de balayer les marins de leur quartier général »[10]. Il rejoint alors un groupe de corps francs : « Des proclamations étaient affichées dans les rues : on demandait des volontaires. On voulait organiser des formations pour la protection des frontières de l’Est. Le jour de l’entrée des troupes dans la ville, j’allais m’engager. Je fus accepté, je revêtis l’uniforme, j’étais soldat. »[11]. En avril 1919 il part donc pour la Baltique où il participe à de nombreuses batailles sanglantes dont la pitié est exclue, même les prisonniers étant exécutés. Il combat en Lettonie autour de Riga considérée comme une ville allemande. Malgré leur détermination, les différents groupes militaires allemands ne font pas le poids et se retrouvent isolés. A l’annonce du putsch mené le 13 mars 1920 pour mettre  Wolfgang Kapp, fondateur du parti allemand pour la patrie, au pouvoir, le groupe auquel appartient Von Salomon rentre en Allemagne. Mais ils sont arrêtés et battus par les forces de gauche qui via une grève générale, bloquent les putschistes qui échouent dès le 17 mars. Ce premier échec ne le détourne pas de ses convictions : « (…) je ne suis pas un tribun. Ah non ! Mais je crois que c’est à nous de faire la révolution. C’est-à-dire une révolution nationale. Et nous l’avons, je crois, déjà commencée. (…) je crois que tout ce que nous avons fait jusqu’à présent était déjà un commencement de révolution. Un embryon. Nous ne l’avons peut-être pas voulu consciemment, mais ça n’a pas d’importance. Le résultat a été révolutionnaire. Toutes les révolutions de l’histoire mondiale ont commencé par la révolte de l’esprit et se sont terminées sur les barricades. Nous avons justement fait le contraire (…) »[12]. Libéré, Von Salomon vit alors dans le dénuement dans la Ruhr et participe à divers groupes d’extrême droite qui foisonnent et n’arrivent pas à se structurer. Après avoir un temps participer à un groupe de « résistants » qui éliminent celles et ceux qui aident les occupants français, il part en Haute-Silésie pour se battre contre les Polonais où ils se retrouvent avec des compagnons déjà croisés à plusieurs reprises depuis 1918 : « En Haute-Silésie, où siégeait l’assemblée générale des activistes allemands, le contact s’était établi tout seul entre les hommes qui avaient agi autrefois séparément dans toutes les parties du Reich ; ce qui, à l’heure présente, leur permettait, grâce à un parfait emboîtement, de donner à leurs actions respectives plus d’élan et plus d’importance. Dans les mois qui suivirent, un filet résistant, invisible, élastique, se forma, dont chaque maille réagissait aussitôt que dans un endroit quelconque on faisait un signal. Cela se réglait sans qu’il existât une véritable organisation, sans plan et sans ordres, par le seul effet d’une solidarité spontanée et toute naturelle. »[13]. Sa rupture avec la logique parlementaire est alors totale. Retrouvant les membres d’une société secrète l’Organisation Consul, il participe donc à un assassinat destiné à faire basculer le pays. Réfugié en Bavière, il y est arrêté et commence alors une période de prison dont il décrit la dureté des conditions. Il n’y reste cependant que 5 ans et sort en 1927. Ne regrettant rien : « Nous souffrions du mal de l’Allemagne. La transformation qui s’opérait en elle nous la ressentions en nous comme une douleur physique, mais qui s’accompagnait d’une sorte de volupté profonde. Nous avions toujours été au plus fort de la mêlée, nous avions toujours été là où s’accomplissait la destruction, nous y avions participé. Et pris ainsi entre deux ordres, l’ancien que nous étions en train d’abolir et le nouveau que nous aidions à construire, sans trouver place nous-mêmes dans l’un des deux, nous avions perdu la paix, nous étions devenus des sans-patrie, porteurs maudits des forces créatrices, puissants par notre volonté de ne reculer devant aucune responsabilité et réprouvés pour cette volonté (…) nous étions une génération maudite et nous disions oui à notre destin »[14]

Un dégout du vieux monde accompagné d’un anticommunisme viscéral

Comme on le lit dans cet extrait le refus de la révolution rouge ne fait pas, loin de là, de Von Salomon un allié de la République de Weimar. Un des aspects est la dénonciation d’une bourgeoisie qui se planque et profite de l’action des autres : « Tous suants et essoufflés, par la marche, nous percevions le son des mélopées nègres qui s’échappait des bars et des boites où l’on s’amuse, nous croisions des profiteurs et des grues ivres et tapageurs, nous voyions les bourgeois que nous nous étions chargés de protéger assis dans des cabarets chics avec des filles qu’ils enlaçaient étroitement devant des tables couvertes de bouteilles et de verres étincelants ou bien exécutant sur le miroir d’un parquet des danses sensuelles et enivrantes. Et de loin arrivait encore le bruit assourdi de quelque fusil de nos camarades »[15]. Clairement Von Salomon a rompu avec les valeurs bourgeoises : « Aucune barrière ne pouvait subsister entre nous, car nous suivions tous la même loi, une loi unique. Et par là nous étions véritablement libres. C’était la raison pour laquelle rien de ce qui relevait des valeurs bourgeoises ne pouvait compter pour nous, et c’était aussi la raison pour laquelle il n’existait pour nous aucune question insoluble ni dans le passé, ni dans l’avenir. D’ailleurs aucun de nous n’avait l’idée de réfléchir aux solutions »[16]
Mais ce qui fonde vraiment son engagement, comme il le dit dès le départ est l’anticommunisme : « En tête d’un long cortège on portait un énorme drapeau et ce drapeau était rouge ; lamentable et mouillé il pendait au long d’une grande hampe et se balançait comme une tache de sang au-dessus de la foule rapidement attroupée. Derrière le drapeau se trainait une masse de gens las qui avançaient en désordre, les femmes en tête. Dans leurs amples jupes elles se pressaient en avant ; la peau grisâtre de leur figure retombait toute plissée sur leurs os pointus. La faim semblait les avoir creusées »[17] Une peur du rouge qui explique aussi les soutiens reçus par les groupes paramilitaires : « Mais nous qui luttions sous les anciennes couleurs, nous avons sauvé la patrie du chaos. Que Dieu nous pardonne, ce fut notre péché contre l’esprit. Nous avons cru sauver le citoyen et nous avons sauvé le bourgeois. Le chaos est plus favorable au devenir que l’ordre. (…) Ce qui rendait possible notre lutte en Courlande c’était la peur que l’ouest avait du bolchévisme. Nous ne faisions pas une seule attaque qui ne fût approuvée par ce cercle d’hommes que l’Allemagne reconnaissait pour son gouvernement. Et ce gouvernement ne donnait pas un seul ordre valable qui n’eût été vu et approuvé par les cabinets alliés. »[18]

Aucun doute sur l’appartenance au champ de l’extrême droite
Pour lutter contre les rouges, les différentes tendances de l’extrême droite se retrouvent : « Il y avait là dans ces provinces encore beaucoup d’autres compagnies. Il y avait là des formations bien ordonnées sous des chefs sûrs, recrutées et marchant selon un ordre imposé. Il y avait des bandes d’aventuriers que l’inquiétude fouettait et qui cherchaient la guerre et avec elle le butin et la vie sans contrainte. Il y avait des corps de patriotes qui ne pouvaient se résigner à la débâcle de la patrie et voulaient défendre les frontières contre la ruée du flot rouge écumant. Et il y avait aussi la Landeswehr balte composée des seigneurs du pays qui étaient décidés à sauver à tout prix leur tradition sept fois séculaire, leur culture vigoureuse et raffinée, ce bastion oriental de la suprématie germanique, et il y avait enfin ces bataillons allemands formés d’hommes rustiques qui voulaient coloniser (…) »[19] Avec une référence aux lansquenets, référence toujours utilisée aujourd’hui par Nation qui a fait de ce chant son hymne : « Ils étaient des lansquenets, mais quel était le pays dont ils étaient les serviteurs ? Ils avaient reconnu la grande duperie de cette paix et ils ne voulaient pas y participer.»[20]. On retrouve aussi ce mythe fondateur d’une armée allemande invaincue sur le front mais trahie par l’arrière : « Nos soldats rentraient, notre brillante armée était là, elle qui jusqu’au bout avait fait son devoir, qui avait gagné nos plus belles victoires, victoires dont l’éclat nous semblait presque insupportable maintenant que la guerre était perdue. L’armée n’était pas vaincue, le front avait tenu jusqu’à la fin. Il revenait et il renouerait tous les liens. »[21]
Et bien entendu, une vision du monde basée sur des forces naturelles éternelles : « Non la lutte n’était pas encore finie. Tous sentaient qu’elle ne pouvait pas être finie. Et si le monde des réprouvés avait disparu, la Tâche restait. (…) Et ce pouvoir que nous avions et que nous aurions toujours la tâche d’attaquer était illégitime, car il s’appuyait sur une hiérarchie des valeurs dictées par les besoins des hommes et non pas sur cette force éternelle et plus profonde qui aurait dû primer tous les besoins des hommes. Nous en avions toujours appelé à cette force et jamais à rien d’autre. Nous n’en avions jamais appelé aux partis et aux programmes, aux drapeaux et aux insignes, aux dogmes et aux théories. Et si notre attitude équivalait à notre condamnation par ce monde, c’était parce qu’elle avait pour but de faire triompher cette force sur l’ordre établi (…) »[22]


[1] Voir Un rebelle d’extrême droite in AM n°90 d’octobre-décembre 2019
[2] Voir Le Gramsci de l’extrême droite in AM n°78 d’octobre-décembre 2016
[3] De Benoist, Alain, L’Allemagne de Von Salomon in Vu de droite. Anthologie critique des idées contemporaines, Paris, Copernic, 1977, pp.539-548
[4] De Benoist, op.cit p.545
[5] Voir Un résistant d’extrême droite in AM n°67 de janvier-mars 2014
[6] Voir Un cinéaste sous le nazisme : Veit Harlan in AM n°19 d’octobre-décembre 2001
[7] Voir Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in AM n°44 d’avril-juin 2008
[8] ministre des affaires étrangères d’origine juive de la république de Weimar
[9] Von Salomon, Ernst, Les réprouvés. Collection Feux croisés. Ames et terres étrangères, Paris, Plon, 1931, p.7
[10] Id. p.10
[11] Id, p.32
[12] P.168
[13] P.239
[14] Pp.311-312
[15] Pp.36-37
[16] P.223
[17] P.6
[18] P.100
[19] P.69
[20] P.60
[21] P.23
[22] P.422

samedi 2 novembre 2019

deux conférences en novembre

En ce mois de novembre, je donnerai deux conférences sur des thèmes différents.

1° Le mercredi 13 novembre à 20h je parlerai des coopératives au Comité d'action laïque de Huy
(Rue Nicolas Jadot n° 2 à Ben Ahin)
2° Le samedi 30 novembre je développerai la question de l'antifascisme à Liège, son histoire et son actualité, au Cercle Julien Lahaut (rue Saint Léonard, 312 à 4000 Liège)