Cet article a été publié dans Espace de libertés n°330 d'avril 2005, p.15
La Chute, ce film consacré par le réalisateur allemand Olivier Hirschbiegel aux derniers jours d’Adolf Hitler, fait beaucoup parler de lui et a suscité un vif débat.
De celui-ci trois grandes questions ressortent. La première porte sur le positionnement actuel, repris dans les dernières études et dans le film, du peuple allemand comme également victime du Nazisme et de la seconde guerre mondiale. C’est là un processus classique dans les sciences historiques que chaque génération questionne le passé d’une manière différente, liée aux préoccupations contemporaines. Quant à la culpabilité, à l’heure où les personnes ayant vécus cette période – et donc les électeurs éventuels d’Hitler – disparaissent progressivement, elle soulève deux interrogations. D’une part la pertinence depuis 1945 de condamner collectivement une Nation alors que des Allemands – certes très minoritaires, mais les Résistants dans les pays occupés ne l’étaient-ils pas non plus ? – sont morts en s’opposant au régime et à ses atrocités. D’autre part, elle supposerait que « racialement » un peuple devrait supporter la culpabilité des actes des générations antérieures[1].
La deuxième question, qui fut la plus médiatisée, porte sur « l’humanisation » de Hitler. Tout d’abord, il nous semble important de souligner que le film ne montre à aucun moment Hitler à son avantage. Le film montre un homme vieilli qui se déplace avec peine, contrôle très difficilement le tremblement de sa main gauche et, surtout, apparaît comme un être paranoïaque, complètement coupé de la réalité et hurlant la moitié des mots qu’il prononce. On est très loin du Siegfried germanique tant vanté par les Nazis. Plus largement, il est justement essentiel de présenter Hitler comme un homme ordinaire, comme quelqu’un que l’on peut croiser à tous moments dans la rue. Le diaboliser, en faire un phénomène « surnaturel », empêche toute analyse des causes socio-économiques, politiques et historiques de son succès[2]. Plus grave, cela suppose qu’il serait impossible que le phénomène se reproduise et ainsi déresponsabilise la génération qui l’a mis au pouvoir, mais également et surtout la génération actuelle et les générations futures qui ne feraient rien pour lutter contre la résurgence de l’idéologie d’Extrême droite.
Ce qui nous amène à la troisième question, la plus importante aujourd’hui. Elle apparaissait en filigrane d’une autre polémique récente, celle autour du documentaire Vlaams choc consacré à Filip Dewinter. Outre la question d’avoir rendu humain le Führer du Vlaams Blok/Belang, ce qui était soulevé par le débat sur la projection de ce documentaire, comme pour La chute, est l’absence de recul et de commentaires explicatifs, partant du postulat que le spectateur est incapable de décoder ce qu’il voit. C’est là une question importante qui souligne d’une part le manque de confiance en l’esprit critique du citoyen Lambda, et d’autre part un constat – rarement exprimé dans les débats évoqués ici – d’échec de notre modèle éducatif. En effet, si le public ne sait pas encore que le Vlaams Blok est raciste, s’il ne reconnaît pas Le Pen au côté de Dewinter sur la photo encadrée trônant en évidence dans la bibliothèque de ce dernier et sur laquelle la caméra revient à deux reprises, s’il n’a pas connaissance des atrocités du régime nazis, s’il est incapable de comprendre ce que Hitler évoque lorsqu’il explique qu’il aura au moins réussi à purger l’Europe du cancer Juif. Si tous ces éléments choisis parmi de nombreux autres ne sont pas compris par les spectateurs, cela voudrait dire que l’école, les médias publics, et l’ensemble des associations d’éducation permanente ont lamentablement échoués dans leur mission de développer les facultés d’esprit critique de chacun.
[1] A un autre degré d’intensité, la Belgique est confronté à cette dimension avec son passé colonial, comme le montre la vive polémique autour de la pièce adapté du livre de Mak Twain.
[2] De nombreux livres ont tenté d’expliquer le « phénomène » Hitler. Le meilleur, pour nous, reste sans aucun doute l’étude de Ian Kershaw, Hitler. Essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard, 1995
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