Cet article, dans une version légèrement différente intitulée Lutter contre les dérives du capitalisme, une solution à l’extrême droite ?, a été publié dans Espace de libertés n°345 de septembre 2006, p.26.
L’extrême droite est malheureusement au centre du débat politique à l’heure actuelle et risque de focaliser une bonne partie des regards lors de la campagne électorale pour les élections communales comme le montre la multiplication dans les librairies de livre sur le sujet, heureusement plus intéressant les uns que les autres[1].
Un de ceux-ci est l’œuvre d’un trio d’universitaire liégeois qui, dès les premières pages, désarme la critique du risque d’overdose sur le sujet et de surmédiatisation de l’extrême droite en disant : « contre l’extrême droite, l’éducation, l’étude, la lecture sont des armes fondamentales. Lire sur l’extrême droite est un premier pas pour la combattre, d’abord pour la comprendre, ensuite pour éviter de se laisser piéger par elle, ses mécanismes, ses tactiques. Cela déjà pourrait justifier tous les livres qui paraissent contre l’extrême droite »[2].
Le livre est intéressant à lire en regard des commentaires qui se multiplient depuis les meurtres d’Anvers. Alors que la quasi-totalité des commentaires dénoncent certes le Vlaams Belang mais en se focalisant sur les aspects racistes qui sont pourtant secondaire dans la réflexion pour une lutte efficace contre l’extrême droite, les trois auteurs déclarent clairement que « Même si les études statistiques sur les valeurs défendues par les électeurs d’extrême droite montrent que « l’attitude négative vis-à-vis de l’immigration » ou « l’attitude défavorable à l’out-group » sont les facteurs principaux distinguant ces électeurs des autres, on maintiendra l’idée qu’il s’agit là d’une conséquence de la récupération d’un malaise par l’extrême droite plutôt que d’un présupposé commun entre partis et électeurs »[3]. De même, la question n’est pas d’éradiquer complètement l’extrême droite mais d’empêcher les tenants d’un projet de société basé sur la loi du plus fort[4] d’attirer à eux, comme ils l’avaient réussi dans l’entre deux guerres, deux sortes d’électeurs : « que l’accroissement des inégalités soit un terreau fertile pour l’extrême droite, les acteurs socio-économiques le relèvent aussi, mais selon un double mécanisme : en causant de la frustration chez les pauvres, mais aussi en alimentant une « peur de perdre ce que l’on a » chez les riches »[5]
C’est sur base de discussions avec 61 personnes rassemblées par catégories (jeunes, universitaire, acteurs socio-culturels…) dans des tables rondes que les trois auteurs, après avoir refait un point rapide sur les théorisation de l’extrême droite, décortiquent les représentations de gens qu’ils reconnaissent d’emblée plus politisé et plus à gauche que la moyenne. La lucidité des différentes catégories est grande, plus particulièrement celle des jeunes qui sont parfaitement conscients des imperfections de la démocratie qu’ils considèrent comme une utopie, au mieux un objectif à réaliser. A l’heure où la disparition progressive de la mémoire générationnelle devient de plus en plus une réalité, tous s’accordent pour mettre en avant l’importance de l’éducation et notamment de l’enseignement de l’histoire. Mais pas de n’importe qu’elle histoire, d’une histoire qui met en avant les positionnements des acteurs et les choix qui ont été effectués parmi une pluralité d’alternatives, une histoire qui mettrait en avant le pouvoir qu’ont les hommes de prendre en main le cours des choses.
Les différents participants insistent également sur le besoin d’aller à l’encontre de l’individualisme, de s’interroger sur sa responsabilité individuelle au sein de la société - à commencer par nos attitudes de consommation - ainsi qu’à l’importance du débat sur les valeurs dans le prolongement des ouvrages de Robert Castel. Mais c’est surtout une demande de clarification des positionnements politiques qui est demandé. Ce qui amène cet extrait essentiel : « pris ensemble (les constats de différents groupes), ils plaident en tout cas pour le maintien d’un esprit de « critique sociale » : ils aboutissent à une conclusion possible, à savoir que l’extrême droite pourrait bien ne pas être autre chose que le résultat du fonctionnement normal du capitalisme contemporain, qui insécurise et qui différencie. Cette idée est d’ailleurs convergente avec un constat facile à faire : l’extrême droite, en Europe, s’enracine surtout dans des endroits où l’économie fonctionne bien »[6]. Ce constat rappelle, sans la rejoindre complètement, une définition datant de 1935 qui disait ceci : « le Fascisme est la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier » et qui est alors la position officielle de la Troisième internationale communiste.
C’est donc avec beaucoup de curiosité que nous observerons comment le commanditaire de l’ouvrage, en l’occurrence la fédération liégeoise du Parti socialiste, utilisera le riche contenu de ce livre qui sort avec énormément d’à propos des discours convenus en reconnaissant qu’une lutte réellement efficace contre l’extrême droite passe inévitablement par un positionnement anticapitaliste clair.
[1] Voir notamment les recensions dans Espace de libertés n°335 et 341 et la sortie récente du livre d’Henri Deleersnijder, Populisme. Vieilles pratiques, nouveaux visages dans la Collection « Voix de la Mémoire » aux éditions Luc Pire – Territoires de la Mémoire.
[2] Italiano, Patrick, Jacquemain Marc et Beaufays Jean, La démocratie en perspective. Tables rondes de citoyens contre l’extrême droite, coll. Voix politiques, Bruxelles, Luc Pire, 2006, p.9
[3] p.12
[4] Voir mon article Le darwinisme social, un paradigme de l’idéologie d’extrême droite in EDL n°340, pp.20-21
[5] p.56
[6] p.78
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