Jérôme Jamin, chercheur à l’université de Liège et rédacteur en chef de la Revue Aide-mémoire vient de publier une étude essentielle sur la législation destinée à combattre l’extrême droite[1] qui inaugure une collection, voix de la mémoire, éditée en partenariat par Luc Pire et les Territoires de la Mémoire. Cette étude législative ne s’arrête pas à la Belgique mais couvre l’essentiel de l’Europe de l’Ouest avec, dans l’ordre, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et la Suisse. Enfin, le droit de l’Union européenne n’est pas oublié.
Outre l’utilité indéniable de regrouper et de situer dans leur contexte les textes juridiques dans un livre accessible, le travail de J. Jamin montre combien chaque pays a réagi différemment selon son histoire et les formes d’extrême droite qu’il doit affronter. Deux grandes tendances se dégagent : celle qui juge que la Constitution suffit, comme l’Allemagne et l’Italie, et celle qui légifère beaucoup comme la France ou la Belgique. Si l’auteur ne se prononce pas sur la solution qu’il juge préférable, soulignons que l’Allemagne n’a utilisé ses dispositions constitutionnelles pour interdire un parti qu’à deux reprises, dont une en 1956 contre le parti communiste allemand. D’autre part, l’Italie qui interdit toute réorganisation, sous quelque forme que ce soit, du parti fasciste, n’a pas utilisé cette disposition contre le MSI fondé dès 1948 et héritier proclamé du mouvement de Mussolini. On peut donc s’interroger sur l’efficacité de ce type de stratégie.
Autre tactique avec la Belgique où l’arsenal législatif et juridique est particulièrement impressionnant. La loi Moureaux de 1981 reste au centre du dispositif, notamment avec son article 3 qui dit clairement qu’est « puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende (…), ou de l’une de ces peines seulement, quiconque fait partie d’un groupement ou d’une association qui, de façon manifeste et répétée, pratique la discrimination ou la ségrégation ou prône celles-ci dans les circonstances indiquées à l’article 444 du code pénal, ou lui prête son concours »[2]. On regrettera cependant le peu d’analyse de l’efficacité de cette loi, même si l’auteur précise utilement ce que l’on tend à oublier, c'est-à-dire que cette loi punit « l’incitation » (dont on sait combien elle est difficile à prouver) et que les tracts dépendent des délits de presse, ce qui nécessite un jury populaire et une procédure bien plus lourde. On le voit, cette solution est également loin de régler le problème.
Jérôme Jamin ne se contente cependant pas d’une analyse juridique de l’extrême droite. Il précède celle-ci d’une analyse sur les rapports entre démocratie et extrême droite, analyse prenant la moitié de son livre. Il y rappelle, s’appuyant principalement sur l’œuvre de Cornélius Castoriadis à qui il avait consacré son mémoire en philosophie, que le régime démocratique « reconnaît que l’ordre social et le sens qu’il génère proviennent exclusivement des hommes et qu’en ramenant l’organisation de la société à la volonté populaire, il proclame le caractère fondamentalement et nécessairement humain de celle-ci, le caractère humaniste au sens littéral de la société, de son organisation politique et de son histoire »[3]. Dans ce contexte, les questions que pose à la démocratie l’extrême droite par son discours et ses méthodes sont fondamentales. Mais, alors qu’il utilise dans le reste de son livre le terme extrême droite, J. Jamin digresse dans cette partie sur le concept de populisme (auquel il attribue trois caractéristiques : référence au peuple comme point de départ ; fait que ce peuple soit massifié, homogène et laborieux ; et enfin que face à ce peuple il oppose des élites paresseuses, corrompues et cosmopolites) mais aussi sur un concept importé des USA, celui de « producériste » qui ajoute aux « parasites d’en haut », les « parasites d’en bas », soit les étrangers, les pauvres, les homosexuels… Comme le décrit de manière brillante Annie Collovald dans un livre récent[4], nous pensons que, au lieu de clarifier le débat, ces termes visent à adoucir et à cacher la réalité de l’extrême droite, tout comme, sur un autre plan, ce que dénonce Hugues Le Paige dans sa préface lorsqu’il explique que « la question me semble moins être celle de l’accès aux médias des porte-parole ou des élus de l’extrême droite que l’évolution globale du traitement de l’information dans les grands médias, et en particulier à la télévision »[5]. Jérôme Jamin nous semble ainsi minimiser le danger de l’extrême droite contemporaine lorsqu’il écrit notamment que « l’exercice du pouvoir très médiatique des premiers maires Front national dans plusieurs grandes villes françaises (Toulon, Orange, Marignane et Vitrolles) à la fin des années nonante n’a pas encore livré de pratiques ou d’actions dignes de ressortir les vieux concepts embarrassants sur le fascisme, le nazisme, les camps, les persécutions, etc. »[6] alors que les premières actions des élus du FN ont été d’épurer les bibliothèques publiques, de couper les subsides aux centres culturels alternatifs ouverts sur les cultures du monde, de favoriser les français de souche dans les logements sociaux (pratiquant ainsi une épuration ethnique soft)…
La réflexion sur la démocratie, suivie de l’analyse de l’arsenal juridique destiné à combattre l’extrême droite et de son efficacité très mitigée, amène Jérôme Jamin a une conclusion que nous partageons intégralement. D’une part, afin d’échapper à des condamnations, l’extrême droite a policé son discours en façade ce qui lui a par ailleurs permis de polluer le discours des partis « traditionnels ». D’autre part, et c’est le plus important, une interdiction n’agira jamais que sur une conséquence alors qu’il faut travailler aux causes. Et d’appeler très justement à l’urgence de la création d’un projet politique audacieux et clairement alternatif.
[1] Jérôme Jamin, Faut-il interdire les partis d’extrême droite ? Démocratie, droit et extrême droite. Coll. Voix de la mémoire, Liège, Luc Pire – Territoires de la Mémoire, 2005.
[2] Id. p.77.
[3] Id. p.29.
[4] Annie Collovald, Le « Populisme du FN ». Un dangereux contresens. Broissieux, éditions du Croquant, 2004
[5] Jérôme Jamin, Faut-il interdire les partis … op.cit. p.12
[6] Id. p.20
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