vendredi 9 janvier 2009

Daens et la société du spectacle

Cet article a été publié dans le n°371 de janvier 2009 du magazine Espace de Libertés, p.29. Il a été co-écrit avec Olivier Starquit.

Adolf Daens est un prêtre alostois (1839-1907) qui marquera l’histoire sociale de la Belgique en général et de la Flandre en particulier en fondant à Alost son propre parti face aux socialistes mais surtout face au parti catholique de l’époque. S’élevant contre la misère et les conditions de travail de la classe ouvrière alostoise, il s’oppose à Charles Woeste, une des plus grandes figures du parti catholique de son époque. Elu en 1894 à l’occasion des premières élections au suffrage universel plural il est souvent considéré comme un des fondateurs de la démocratie chrétienne. Son discours social dénonçant les conditions inhumaines dans lesquelles survivent les travailleurs et travailleuses d’Alost heurtent non seulement la bourgeoisie mais également la hiérarchie catholique. Le succès de son parti agacera de plus en plus et en 1899 son évêque et le Pape lui-même le désavoue et le démette de ses fonctions. Cette condamnation fera très mal au « daensisme ».

La vie de ce prêtre et son action ont été rendues encore plus populaire à la suite du film de Stijn Coninx réalisé en 1992 (et qui fut nominé aux Oscars) sur la base du roman de l’écrivain Louis Paul Boon. C’est ainsi qu’en 2005 Daens arrive cinquième de la version néerlandophone de l’élection du plus grand belge[1]. Autre signe, le PTB a récemment utilisé son image pour une action symbolique

Une comédie musicale s'est jouée à Anvers durant trois mois. Produite par la société Studio 100 cette superproduction flamande n’a rien à envier aux classiques du genre. Le spectacle suit fidèlement le film au point que le rôle titre, interprété par le BV[2] Lucas Van den Eynde, ressemble physiquement plus à l’acteur titulaire du film qu’au personnage historique. Comme dans le film, la rigueur veut que les comédiens incarnant la bourgeoisie s’expriment et chantent en français. De même la dénonciation du cléricalisme et de sa collusion avec l’exploitation capitaliste est clairement exprimée. Et le message final exprimant le fait que c’est en luttant sur terre ici et maintenant que l’on peut changer les choses – et pas en se contentant de la prière – est finalement profondément laïque.

Si on peut donc se réjouir qu’une superproduction privée aborde par un médium populaire un personnage aussi célèbre et un message de lutte, on peut cependant relever certaines incohérences. Tout d’abord le fait que l’on sent bien qu’il n’y a aucune volonté d’actualiser le message, notamment dans la promotion. D’autre part, le prix des places est loin d’être aussi populaire que le thème de la comédie musicale surtout si l’on ajoute les suppléments (3€ de réservation, idem pour le parking et 5 € vendredi et w-e). De même pour les boissons (une simple « pintje » de 25cl à 2,5€ cela reste cher). Cela se ressent immédiatement sur le public qui est loin d’être populaire et vient donc écouter de la musique facile, en néerlandais, sur fonds d’une situation appartenant au passé et ne les questionnant donc pas sur le monde qui l’entoure. Si ces remarques peuvent sembler superficielles, d’autres sont à relever. Ainsi de la présence d’enfants sur scène pour un spectacle qui se termine vers 23h00. Sans vouloir comparer leur sort à celui des enfants dans les fabriques textiles alostoises de la fin du 19e siècle, on peut cependant relever ici une certaine incohérence.

Mais le cas le plus concret[3], mais aussi le plus significatif, est le sort réservé à une des actrices principales du film de 1992, Antje De Boeck. Comme son personnage (Nette) elle reçoit une lettre, ici du VDAB (l'équivalent flamand du Forem) l'invitant à accepter un emploi de réceptionniste au vestiaire ou à la vente de billets de la comédie musicale ... Daens, au risque de subir une suspension de ses droits aux allocations de chômage alors qu'elle avait renoncé depuis plus de 20 ans à ceux-ci. Une suspension ironique – au vu de la collision avec le spectacle- et douloureuse qui illustre à merveille l'absurdité, l'arbitraire et l'incohérence de la politique d'activation des chômeurs d'une part et l'inadéquation du statut des artistes au régime de chômage d'autre part et qui nous rappelle que les combats pour changer ces situations doivent indubitablement se mener ici et maintenant et non simplement faire l'objet de super-productions clinquantes.



Notes

[1] Une nouvelle illustration quelque peu surréaliste du fait que nous vivons dans le même pays mais comprenant deux espaces publics distincts

[2] Bekende Vlaming: Flamand connu: on n'ose imaginer ce que l'abréviation donnerait pour les Wallons!

[3] Cas qui a été abordé dans la presse flamande uniquement à l'aune du triste sort personnel réservé à la comédienne.

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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