samedi 23 janvier 2010

Tintin-Degrelle. Une idéologie au-delà de la polémique (2) :


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Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°51, de janvier-mars 2010, p.11.
La première partie est ici
Dans le précédent numéro, nous avons principalement insisté sur le côté mégalomane de Léon Degrelle. Nous terminions en ne nous limitant pas à cette lecture superficielle de Tintin mon copain mais en analysant l’idéologie bien présente dans cet ouvrage. Après le rejet du parlementarisme et l’exaltation du plus fort à travers la stature du chef, voyons les autres aspects.
Une collaboration idéologique et patriotique
Le Front de l’Est et la collaboration sont bien évidemment indissociables du parcours de Léon Degrelle. L’engagement sous l’uniforme allemand est lié à une idéologie commune dont l’ossature est une haine viscérale contre le communisme : « Si les armées du Front de l’Est n’avaient pas supporté, avec un héroïsme presque inimaginable, pas à pas, mort par mort, cette retraite d’une ténacité fabuleuse, Staline fut arrivé à Paris bien avant De Gaulle et les Yankees ! L’occident entier eût sombré dans le Stalinisme en 1943 ou en 1944 au plus tard : il eût connu, comme les Polonais, les Tchèques, les Hongrois, les Roumains, les Bulgares, cinquante années d’écrasement absolu ! On aurait planté des statues géantes de Staline à Bordeaux, Lyon, à Carcassonne ! Et à Séville ! C’est ce sort que ceux qui nous insultent stupidement aujourd’hui eussent connu si, un seul jour, avait failli la résistance épique que nous menâmes mille jours et mille nuits, de la Volga au Don, du Dniepper au Danube, de la Vistule à la Sprée ! »[1]. Et face à cet héroïsme, à cet engagement idéaliste, Degrelle n’a pas de mot assez fort pour dénoncer les planqués, mais aussi les crimes de la Résistance « On entendait terroriser nos familles, notamment celles de nos soldats. (…) Mille innocents seraient massacrés, en Belgique, de 1941 à 1944, pour donner un coup de main à Staline ! Ces crimes, les « résistants », d’extrême-gauche en général, les perpétraient presque sans courir de risques. La plupart des victimes n’étaient protégées par personne… »[2]. Ces exactions obligeront bien entendu les rexistes à réagir pour se protéger. Mais c’est surtout ce qui s’est passé à la Libération qui ne passe pas et dont les instigateurs sont, pour lui, sans mystère : « Car si, nous le répétons, il exista, durant la Deuxième Guerre mondiale et au début de la « Libération », des résistants, parfaitement respectables, la vérité est que la plupart des carnassiers d’août et de septembre 1944 étaient des hommes de main des Soviets, voire des rescapés sanguinaires du Frente Popular espagnol. Le ministre même de la justice (en France !) lors de la « Libération » était le communiste Marcel Willard. Celui-ci déclarerait publiquement en août 1944, dans quel état d’esprit se perpétraient les liquidations collectives : « Désormais le signe de la justice ne sera plus la balance mais la mitraillette » ! (…) M. René Château, ancien député français a énuméré, dans son livre « l’âge de Caïn », nombre de cas typiques de la technique raffinée qui distingua ces crimes style 1944, que ce fût en France ou dans la Belgique de Tintin »[3]. Le souvenir de ces journées est fort et indélébile. Tintin mon ami est d’ailleurs dédicacé « à la mémoire de mon frère Edouard, assassiné, dans sa maison de Bouillon, devant ses fillettes, par les « épurateurs belges », le 8 juillet 1944, ainsi qu’à la mémoire de ma mère (âgée de presque quatre-vingt ans) et de mon père, morts d’anéantissement dans les prisons de la haine, à Bruxelles, le 23 octobre 1947 et le 11 mars 1948 ». Et de réclamer à plusieurs reprises l’amnistie : « Des Belges dont on s’empressa quelques jours plus tard d’amnistier les forfaits ! Nos héros du Front de l’Est, eux (voir mon « Sire, Vous et moi… »), nos grands blessés, nos mutilés attendent encore, après cinquante ans, le moindre signe de mansuétude de l’Etat qui couvrit si scandaleusement, en 1944 et en 1945, les abominations des assassins du gang résistantialiste ! »[4]
Pour bien comprendre ces réactions et cette vision des choses, il faut bien avoir à l’esprit l’explication qui est donnée de l’engagement dans la collaboration. Il s’agit principalement d’un engagement idéologique lié à une admiration envers l’Allemagne nazie et sa reconstruction qu’il analyse malgré tout lucidement : « Cette Allemagne, que l’électorat même confiait ainsi à Hitler, était, en 1933, un Etat presque ruiné, à la vie économique effondrée, accablée de six millions de chômeurs. En deux ans, Hitler avait-il oui ou non, ramené à peu près à zéro ce chiffre monumental d’ouvriers sans travail ? Quel pays en Europe, avant ou après 1945, en fit jamais autant ? La réorganisation d’une armée, alors presque inexistante (1935), n’avait pas été pour à peu près rien dans le retour rapide de l’Allemagne au travail et à la prospérité »[5]. A ces arguments s’ajoute le patriotisme, le sentiment très fort de ne pas trahir son pays mais à l’inverse de lutter pour lui : « Croit-on qu’on court ainsi affronter la mort ou les pires souffrances, chaque jour, pendant des années, si l’on n’est pas brûlé par une grande foi ? Vous mes lecteurs, vous êtes-vous jamais préoccupés de savoir ce qui avait pu se passer dans l’âme des milliers de jeunes garçons qui, en 1941, partirent, de tous nos pays envahis en 1940, pour conquérir les steppes soviétiques, qui luttèrent là-bas, qui offrirent là-bas leur jeune vie, éclatante de force et rayonnante de rêves ?... Nos guerriers croyaient, de toute leur âme, au bonheur de vivre. Ils eussent voulu en jouir intensément. Ils ne partaient pas au front de l’Est par bêtise ou par bravade, ils voyaient que leur pays vaincu était, en 1941, en jachère, et que, sans une solution inédite, il risquait de ne plus jamais se relever »[6]. Degrelle rappelle d’ailleurs les déclarations du Roi mais aussi la débâcle de 1940. Degrelle, comme de nombreux anciens combattants du Front de l’Est, met surtout ses actes de bravoure au combat en évidence, faisant souvent référence aux valeurs chevaleresques du don de soi et du combat loyal[7]. Il insiste également régulièrement pour relativiser ce qui s’est passé : « Mais, enfin, qu’étaient ces envois de travailleurs réquisitionnés à côté de ceux de centaines de milliers de Flamands et de Wallons qu’au début du siècle précédent, Napoléon avait expédiés, sans trop d’états d’âme, non pas vers des usines, mais, tout crûment, vers ses sanglants champs de bataille de Wagram, de la Bérésina, de l’Extramadure ou de l’Illyrie ! Ne voyez-vous pas, cependant, des troupeaux de Belges, béats, confits, aller à Paris, chaque année, se prosterner devant le tombeau du même Napoléon, aux Invalides ?... »[8].
Un racisme et un antisémitisme « classique »[9]
Il ne faut cependant pas trop chercher pour retrouver un racisme considéré comme une évidence naturelle : « Hergé et moi étions du scoutisme, d’un scoutisme qui développait harmonieusement les forces corporelles, qui les disciplinait, qui stimulait les énergies et qui forgeait les caractères. Nous voulions, oui, une race solide en Belgique, en France, en Allemagne, sur tout notre vieux continent, des familles épanouies, une vie morale orientant les existences. Notre racisme, c’est la santé. La santé de notre peuple. Non le rejet fanatique des peuples extra-européens. Nous désirions, tout au contraire, que les autres peuples réalisassent chez eux une révolution semblable à la nôtre »[10]. Ce passage est d’ailleurs illustré par des photographies de la division SS Kama qui était composé de musulmans engagé dans « la Djihad contre le Sionisme » comme le dit une des légendes. Sionisme. Le terme est lâché. Car chez Degrelle, il n’y a aucune nuance. Sur ce sujet comme sur les autres : « On s’en prenait à Hergé, l’inventeur de quelques nez biscornus, parce que le philosémitisme le plus obtus est maintenant de stricte rigueur depuis la Seconde Guerre Mondiale, cette guerre que de nombreux Juifs ont largement voulue et qui leur a coûté divers déboires, auxquels, de toute façon, Hergé n’avait été mêlé en rien. A cette heure, et plus que jamais, en Belgique, en France, n’importe où, la plus mince rosserie griffant l’un ou l’autre nez planté de travers et – crime affreux ! blasphème indicible !- la moindre mise en doute des chiffres astronomiques (six millions ! dix millions ! dix-sept millions ! d’israélites gazés – ou non gazés – au cours des hostilités !), vous vaut d’être envoyé, tel le bouc émissaire d’Israël, dessécher vos os en plein désert. »[11]. Et de revenir sur les arguments classiques de l’antisémitisme : « Tout le monde, pourtant, sait que les Juifs bien nés ont des nez d’un format plutôt exubérant, courbés parfois comme une roue de bicyclette ! Plaisanter là-dessus n’est pas spécialement méchant. N’empêche, le nez un peu trop étoffé du banquier Blumenstein pèserait comme une masse de plomb à l’heure des comptes. Cette susceptibilité des Juifs – pour des bêtises souvent !- a beaucoup contribué à les rendre difficilement supportable. A voir qu’on les plaisante, ils se scandalisent comme si on outrageait en eux une part de divinité ! Le fait malheureusement, est indéniable : depuis que l’Histoire existe, le Juif n’a jamais pu se faire vraiment aimer. De Gaulle lui-même a marqué cette aversion d’un qualificatif précis : « Peuple dominateur ». Le Juif – il a çà dans le sang – veut dominer. Dominer la finance. Dominer la politique. Dominer la presse. Dominer l’opinion. Dominer l’univers, alors que la population juive ne représente, à peine, que la trois centième partie de l’humanité ! On voudrait voir les Israélites se contenter de tenir une place normale parmi le concert des hommes. Tout le monde s’en féliciterait. Pourquoi n’acceptent-ils pas d’être heureux en dégustant, comme tout le monde, leur simple part de bonheur terrestre ?... Est-il indispensable qu’ils occupent sans cesse, bruyamment, ostensiblement, la scène universelle ? »
Un négationnisme sans nuance
En bon négationniste[12], Degrelle reprend les arguments de la liberté d’expression et de « il n’y a pas de fumée sans feu » : « Cela devient même tout à fait étrange. Car si les Juifs en 1940-1945 ont souffert – ce qui ne se nie pas – comment se fait-il que leur cas ne puisse même plus, historiquement, être étudié ? Cette guerre, l’ont-ils de quelque façon provoquée ? Gros problème ! Pourquoi est-il interdit de faire allusion aux causes réelles de ce conflit, ainsi qu’aux innombrables provocations et attentats qui ont, pendant la guerre, suscité des représailles ? Quand au sort réel qu’ont pu subir les Juifs, pourquoi tant d’interdictions législatives et de condamnations, draconiennes au cas où l’on se permet de remarquer que les doutes subsistent ? Finalement, l’affaire se retourne contre les Juifs eux-mêmes. Si l’on ne permet pas de parler, c’est qu’on a quelque chose à cacher. Une telle intolérance met à tous la puce à l’oreille »[13]. Nous insisterons quelque peu sur ces passages afin de bien démontrer que Degrelle n’est pas seulement le clown que certain veulent en faire mais une personne avec une idéologie très construite et dangereuse. Le doute est insinué à plusieurs reprises : « Depuis 1945, tout débat sur l’Allemagne du Troisième Reich est braqué uniquement sur les infortunes des Israélites. Il faut se fier aveuglément à tout ce qui s’est écrit à ce sujet, accepter bouche bée des chiffres fous, avaler comme des caramels les détails les plus horrifiants. Ils sont, à cette heure, des dogmes. Il est rigoureusement interdit d’émettre le moindre doute. Interdire le doute, pourtant, c’est anéantir toute possibilité de recherche scientifique. Douter n’est pas seulement le droit, mais le devoir même de tout historien ! Pourquoi cette frousse étrange à la seule pensée qu’une démonstration objective pourrait faire dégringoler des légendes (…) »[14]. Légendes. Terme lourd de sens et qu’il explicitera en enlevant toute ambigüité sur sa pensée négationniste dans ce passage illustré – afin d’être encore plus clair sur le sens du message - par le visage tuméfié de Robert Faurisson après que ce dernier ait été agressé : « Pas une ligne n’avait paru, où que ce fut, sur une quelconque « chambre à gaz ». Les plus acharnés propagandistes antinazis d’aujourd’hui doivent reconnaître qu’en 1941, ils n’avaient pas la moindre idée de l’existence d’appareillages de cet ordre-là en Europe. Encore aujourd’hui, des doutes nombreux, ou des dénégations catégoriques, sont émis par des spécialistes éminents, et particulièrement informés ; soit qu’il s’agisse d’un intellectuel de très haute classe comme le professeur de l’Université de Lyon Robert Faurisson et de l’école historique fort importante qui a repris ses thèses à travers le monde ; soit qu’il s’agisse du spécialiste des chambres à gaz aux Etats-Unis, M. Fred Leuchter qui, après des études minutieuses menées sur place, des examens précis et répétés, puis des vérifications scientifiques des matériaux emmenés pour analyse aux Etats-Unis, affirme aujourd’hui formellement, dans un volume très rigoureux de 192 pages, que jamais, une seule fois, une seule chambre à gaz homicide ait pu fonctionner dans un camp quelconque du Troisième Reich (…) Lorsque l’immense tapage monté après la guerre sur ce problème aura fini par s’apaiser, on verra ce que concluront les historiens, redevenus sérieux. De grandes surprises seront alors, sans doute, réservées aux accusateurs hâtifs, aux attrape-nigauds et aux menteurs cyniques de nos temps passionnés. Entretemps, tout débat à ce sujet étant judiciairement interdit, chacun ne peut que se taire. Je le fais moi-même aujourd’hui, le bec cousu et la plume sèche, sans d’ailleurs en penser moins derrière les jupons omnipotents des magistrats brandissant leurs nouveaux codes. »[15].
Après cet extrait, je pense ne pas devoir ajouter encore des éléments visant à démontrer qu’un livre comme Tintin mon copain est loin de se résumer à une polémique pour tintinophile mais est bien une œuvre de propagande, un testament politique, du plus important leader d’extrême droite de la Belgique francophone qui connaît encore de (trop) nombreux admirateurs aujourd’hui, comme ceux qui éditent le livre et qui, après avoir expliqué le lieu où on été répandue les cendres de Degrelle, terminent par ces mots : « Un dernier mot : si l’administration communale de Bouillon a bien enregistré, en date du 15 juin 1906, la naissance de « Léon, Joseph, Ignace Degrelle », les autorités espagnoles de Malaga n’ont pu que noter le décès, à la date du 31 mars 1994, de « Leon José Ramirez y Reina ». En conséquence, nous devons bien admettre que (en gras et majuscule) Léon Degrelle vit dans l’éternité ! »[16]
Je terminerai sur une note plus légère démontrant bien le style du personnage. Léon Degrelle y relate une blague qui circulait à son propos : « Epouvanté par la durée des hostilités de la Seconde Guerre Mondiale, il (Dieu) avait, en 1944, convoqué au ciel tous les responsables du conflit. Chaque fois qu’un invité entrait, que ce fût Churchill, ou Hitler, ou Pétain, ou Roosevelt, le Seigneur, soigneusement barbu, très poli, saluait, se levait à la rencontre de l’arrivant. A mon tour, je m’étais amené. Mais Dieu le Père était resté pétrifié sur son grand fauteuil. Saint Pierre, chargé du protocole, s’était alors penché discrètement sur l’épaule du maître des lieux et des cieux : - Vénéré Bon Dieu ? N’avez-vous pas vu que Léon Degrelle s’approche de vous ? Vous ne vous levez pas ?... – Je m’en garde bien, répondit le Maître des Nations. Celui-là, je le connais : si je me levais de mon trône, il s’installerait à ma place à la minute même ! C’était assez exact. Je me connais. »[17]
Notes:


[1] p.107
[2] p.100. Notons dans cet extrait, comme dans les suivants, l’utilisation des guillemets pour distiller le doute.
[3] p.119. Notons au passage qu’il est significatif que le livre L’âge de Caïn, que nous avions analysé dans Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in Aide-Mémoire n°44 d’avril-mai-juin 2008 soit utilisé comme référence.
[4] p.114.
[5] p.53
[6] p.87
[7] Voir Le Militaria, porte d'entrée de l'idéologie d'extrême droite in Aide-Mémoire n°46 d'octobre-novembre-décembre 2008.
[8] p.109
[9] Voir L’antisémitisme est-il une futilité ? in Aide-Mémoire n°26 d’octobre-novembre-décembre 2003 et Un populisme du 19e siècle in Aide-Mémoire n°29 de juillet-août-septembre 2004.
[10] p.153
[11] p.180
[12] Sur cette question voir Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme in Aide-Mémoire n°34 d’octobre-novembre-décembre 2005
[13] Pp.191-192.
[14] p.55.
[15] p.93
[16] p.226
[17] p.219

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