vendredi 28 mars 2008

Conférences "province"

Le service "éducation permanente" du secteur culture de la province de Liège publie chaque année une brochure reprenant les conférenciers qu'elle reconnaît. Je serai repris dans cette brochure pour la saison 2008-2009 avec les conférences reprises ci-dessous.

  • L’extrême droite, un mouvement politique durable

Voici maintenant plus de vingt ans que l’extrême droite est revenue sur le devant de la scène en Belgique. Loin d’être un phénomène nouveau, elle s’inscrit dans une histoire que d’aucuns font remonter à la Révolution Française. Qu’en est-il réellement ? Existe-t-il des liens entre les années 20-30 et aujourd’hui ? Quels sont les partis d’extrême droite en Belgique ? Quel est leur programme ? Quelle est leur stratégie de communication ? C’est à toutes ces questions, et bien d’autres, que la conférence tente de donner des balises et des pistes de réflexions pour terminer sur l’interrogation « Que Faire » ?

1h30 + débat.

Remarques : La longueur et les éléments abordés sont modulables selon les souhaits des organisateurs. Il est également possible d’organiser une journée de formation avec module(s) participatif(s).

  • L’extrême droite sur Internet

Aujourd’hui, Internet est devenu un média central, principalement pour les jeunes. Il interpelle cependant par son absence de filtre critique et sa facilité d’accès et d’utilisation. La conférence analyse comment l’extrême droite utilise Internet pour diffuser son message. A partir des sites belges, nous explorerons la toile pour découvrir les nombreuses ramifications et décoder le discours tenu.

1h00 + débat.

Remarques : Une connection à Internet est souhaitable pour dynamiser la conférence. Il est également possible d’organiser un module de formation avec exercices pratiques.

  • La caricature dans la presse belge francophone entre 1940 et 1944

Aujourd’hui encore, le dessin de presse en dit parfois bien plus long sur une situation politique ou sociétal que des articles très fouillés. Durant l’occupation, la caricature fut également utilisée pour diffuser un message, pour relater la vie quotidienne. Nous analyserons comment les dessinateurs qui ont collaborés ont décrit les différents épisodes de la seconde guerre mondiale et quels sont les thèmes qu’ils ont abordés. Nous verrons également que la Résistance n’a pas, malgré ses faibles moyens, négligés cette forme de communication. Plus largement, ce sera l’occasion de pratiquer la critique et le décodage de l’image.

1h30 + débat.

  • Gauche – Droite, une opposition dépassée ?

Les concepts de gauche et de droite ont longtemps structuré le paysage politique de notre pays. Nés lors de la Révolution française, certains les disent aujourd’hui dépassés, obsolètes. Pourtant ils apparaissent à l’analyse encore pertinents pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Après avoir clarifié un certain nombre de balises, nous analyserons le paysage politique belge francophone, sans pour autant oublier la Flandre.

1h30 + débat.

Remarques : Une connection à Internet est souhaitable pour dynamiser la conférence. Il est également possible d’organiser un module de formation avec exercices pratiques.

  • Histoire sociale de Belgique

L’histoire de Belgique se résume trop souvent à l’histoire de ses rois, de ses grands capitaines d’industrie, bref de ses hommes illustres. Avec cette conférence, c’est de l’histoire des « sans » que nous parlerons. Nous verrons comment des luttes ont permis la conquête du droit de vote, la fin du travail des enfants, la réduction du temps de travail, la sécurité sociale… Ce sera l’occasion de s’interroger sur la mémoire d’une société et sur la construction de l’histoire officielle. Ce sera aussi l’occasion de relativiser des discours dits « modernes » et d’interroger notre présent grâce à notre passé. Bref, nous réinterrogerons les luttes collectives qui ont permis l’émancipation des individus.

1h30 + débat.

Remarques : La longueur et les éléments abordés sont modulables selon les souhaits des organisateurs. Il est également possible d’organiser la matière en module(s) participatif(s). Ce thème peut aussi être abordé par le biais de visites guidées.

  • Histoire et structure de la sécurité sociale

Aujourd’hui en Belgique, on estime que 17% de la population vit à la limite ou sous le seuil de pauvreté. Sans la sécurité sociale, ce chiffre serait d’un minimum de 35%. Cette sécurité sociale que nous sommes un des rares pays au monde à posséder n’est pas un don du ciel, mais bien le fruit d’une histoire sociale mouvementée. La conférence retrace l’histoire de cette conquête avant d’en analyser la structure, le financement et les perspectives d’avenir.

1h30 + débat.

  • Le droit de vote, une conquête inachevée

Lorsque la Belgique conquiert son indépendance en 1830, le nouvel état ne permet pourtant qu’à moins d’1% de sa population de voter. Pourtant dès cette époque le pays est considéré comme une démocratie parlementaire. C’est après de nombreuses manifestations et plusieurs grèves générales que le Suffrage Universel sera obtenu. Mais un Suffrage universel réservé à des habitants ayant un certain sexe, un certain âge et une certaine nationalité ! L’histoire du droit de vote nous permet donc de nous interroger également sur l’importance des mots et sur leur relativité.

1h00 + débat.

  • Les coopératives, une formule passée pleine d’avenir

En Belgique, des Groupes d’Achats Communs se multiplient. En Argentine, au lendemain de la crise de 2001 des travailleurs ont repris leur entreprise sous une forme coopérative, phénomène existant également en Belgique. Cette forme d’organisation de l’économie n’est cependant pas neuve. Dans notre pays, elle a même donné naissance à un mouvement puissant qui formera l’épine dorsale du mouvement ouvrier, tant socialiste avec les Maisons du Peuple, que catholique avec le « Bien être ». Nous retracerons cette histoire en nous attachant à en comprendre le succès et les raisons de la disparition du mouvement coopératif de consommation dans les années 1980 avant de revenir sur les perspectives qu’offrent de telles formules aujourd’hui.

1h00 + débat.

mercredi 12 mars 2008

Un libertin à Compostelle

Cet article a été publié dans Espace de Libertés n° 362 de mars 2008, p.30

Etienne Liebig publie son carnet de voyage de la route limousine du pèlerinage de Compostelle où, partit de Vézelay, il a rencontré un maximum de catholique de tous types. La motivation de l’auteur est d’emblée annoncée : « Je n’ai rien contre les catholiques. On verra même que, pour reprendre la célèbre expression, je suis plutôt « tout contre ». J’ai écrit ce journal non pas contre leur croyance, mais contre une pensée totalitaire qui asservi les humains. Je l’ai écrit contre un dogme surréaliste fondé sur l’hypothétique retour d’un OGM conçu par une vierge et un bon Dieu sourd comme un pot. Je l’ai écrit parce que je ne crois pas en Dieu »[1]. Et l’auteur de croiser le long de sa route un panaché de ce qui compose les fidèles de la religion catholique et de nous les décrire avec de nombreux détails qui rappelleront à tous des souvenirs de personnes rencontrées. L’auteur écrit au vitriol et ne fait guère dans la nuance. Ainsi, assistant à la messe : « l’office est encore plus ringard que dans mon souvenir : des jeunes gens sympathiques et très comme il faut grattent trois accords sur des guitares désaccordées en poussant d’une voix fausse des cantiques débiles. Le curé, extatique, les couve du regard. Tout cela, sous l’apparat et la pompe, est extraordinairement primitif (…) »[2]

Afin de pouvoir mener son enquête, Liebig ne cesse de mentir, à commencer bien sûr en ce qui concerne sa foi mais aussi sur son parcours puisqu’il n’hésite pas à prendre le car ou le train pour avancer dans son périple. Son but ultime est d’arriver à introduire un groupe de traditionalistes pour lesquels il n’a aucune pitié : « les voilà donc, ces mulets de la pensée, ces morts-vivants de la Foi ! Certes, dans la vaste famille des catholiques traditionalistes, on trouve des allumés d’Emmanuel, des braves gens abusés par le décorum et la messe en latin et même des théoriciens pervers frisant avec l’extrême droite, mais les plus inquiétants restent, et de loin, les vrais fachos (…) tous plus violents qu’une bourgeoise le premier jour des soldes chez Kenzo. Ce sont les plus dangereux. Vingt siècles durant, ils ont fait pendre, brûler, déchirer, garrotter au nom du Dogme. Au sein de l’Eglise, ils forment un monde à part, posé sur quatre piliers : la haine, la paranoïa, la nostalgie et le trucage. (…) La haine est leur mot de passe (…) Haine des communistes, des immigrés, des jeunes, du système éducatif, etc. Ils ne se bornent pas à des modèles simples, ils osent la détestation générale (…) Le grand complot est le fait des francs-maçons, des juifs ou des communistes. Satan est partout. »[3]

L’auteur dénonce surtout l’hypocrisie sexuelle du message catholique. Comme tous les livres édités ou diffusés par La Musardine, l’ouvrage d’Etienne Liebig[4] est à mettre dans des mains averties du caractère détaillé et cru des aventures sexuelles du personnage principal. Même si la fin s’avère décevante et brouille quelque peu le message libertin pourtant revendiqué, ce journal d’un pèlerinage atypique à Compostelle déridera plus d’un laïque – et peut-être d’un catholique – à défaut de nous rendre plus objectif.

Notes

[1] Etienne Liebig, Comment draguer la catholique sur les chemins de Compostelle, Paris, La Musardine, 2006, p.9

[2] p.131

[3] pp.123-124

[4] Celui-ci, chez le même éditeur (www.lamusardine.com)

jeudi 28 février 2008

Et si on baissait (réellement) les impôts de ceux qui en ont (vraiment) besoin ?

Je cosigne sur la fiscalité une carte blanche écrite par le "mouvement du 15 décembre", un collectif qui regroupe des syndicalistes du Sud comme du Nord mais aussi de la FGTB comme de la CSC, ce qui en fait toute sa richesse. Avec ma présence dans ce collectif je renforce, comme au sein du "Ressort", ma volonté d'être au carrefour de divers groupes réellement de gauche. Ce sera également le sens de ma présence demain soir à Namur au meeting organisé par le "Mouvement du Manifeste Wallon" (dont je suis un des signataires) et dimanche au congrès du PTB (dont je ne suis pas membre).
Le texte ci-dessous est paru le jeudi 28 février dans La Libre Belgique et le vendredi 7 mars dans Le Soir.


Le 15 décembre 2007, les syndicats CSC-FGTB et CGSLB manifestaient à Bruxelles "pour le pouvoir d'achat et la solidarité". Dans son tract, le Front Commun Syndical revendiquait "une fiscalité équitable". Depuis lors le débat politique fait rage, par exemple sur le scandale des intérêts notionnels si chers à la FEB, laquelle FEB n'hésite pas à prétendre "qu'il n'y a pas de problème de pouvoir d'achat".

Avec l'aide du Mouvement du 15 Décembre(1), des syndicalistes socialistes et chrétiens, lancent un appel pour "les riches plus taxés et les pauvres moins taxés !". Le ministre des Finances, Didier Reynders, affirme qu'il a baissé les impôts. Ceux des entreprises et des plus hauts revenus, c'est clair. Mais ceux de la population ? La fiscalité a une fonction de redistribution des revenus (par exemple pour le financement des services publics). Cette fonction redistributive est garantie par la progressivité de l'impôt : plus un revenu est haut, plus son taux d'imposition est élevé. L'impôt des personnes physiques est calculé sur base de barèmes qui suivent ce principe. Mais de nombreux éléments viennent de plus en plus biaiser la progressivité. Ce qui signifie que la justice fiscale perd du terrain dans notre pays.

Voici cinq mesures qui rétabliraient une meilleure progressivité.

1. Taxer tous les revenus (financiers, immobiliers) comme les revenus professionnels. Pour pouvoir réduire les impôts de la population sans mettre en péril les dépenses sociales de l'Etat, il faudra réduire les énormes avantages fiscaux dont bénéficient les plus riches. Exemple : les propriétaires qui donnent des immeubles en location sont imposés sur un revenu cadastral théorique nettement inférieur aux loyers réels perçus. Et il y a pire. Les dividendes et intérêts sont soumis à un précompte mobilier de 15 ou 25 pc. Ce précompte est libératoire : il dispense le bénéficiaire de mentionner le revenu dans sa déclaration fiscale. Ce revenu mobilier n'est donc pas cumulé aux revenus professionnels et échappe ainsi à la progressivité de l'impôt.

Quant aux plus-values sur titres, elles échappent carrément à tout impôt puisqu'elles sont totalement exonérées. Rien ne justifie cette discrimination entre types de revenus. Une discrimination qui profite aux plus riches, car ce sont dans les plus hauts revenus que la part des revenus mobiliers est la plus importante. Pour garantir une réelle progressivité de l'impôt, les revenus immobiliers et mobiliers, y compris les plus-values sur titres, devraient être taxés comme les revenus professionnels.

2. Réduire l'impôt sur les faibles et moyens revenus. On l'a dit, l'impôt des personnes physiques est plus juste que les autres. Il pourrait pourtant être amélioré. Ainsi, un salarié commence à payer de l'impôt dès... 623 euros brut par mois. Sceptique ? Faites le test : introduisez un salaire annuel de 7 476 euros sur le simulateur du ministère des Finances (http://minfin.fgov.be). Et celui qui gagne 1 500 euros brut arrive déjà au taux marginal de 45 pc. En clair, la pente des taux d'imposition est beaucoup trop raide : on paie trop vite trop d'impôts. Pour une réelle progressivité, il faudrait rendre cette pente beaucoup plus douce. Mais dans sa réforme fiscale, le ministre Reynders a préféré faire l'inverse : supprimer les deux tranches de 52,5 pc et 55 pc. Cette mesure bénéficie uniquement aux plus hauts revenus (au-delà de 45 000 euros brut par an) et le cadeau est d'autant plus important que le revenu est élevé. Pour l'administrateur-délégué de Fortis, la réforme fiscale représente, par exemple, un cadeau de 120 000 euros chaque année.

3. Réduire les taxes indirectes, notamment sur l'énergie. À l'inverse de l'impôt des personnes physiques, les taxes indirectes (TVA, accises...) ne sont pas progressives : chacun est soumis au même taux, quel que soit son revenu. Les projets libéraux pour augmenter ces taxes indirectes auraient pour effet d'accroître encore plus les injustices fiscales. Il convient au contraire de réduire la part des taxes indirectes, en particulier sur les prix de l'énergie, qui constituent une part sans cesse plus importante des dépenses des ménages.

Aujourd'hui, le gaz, l'électricité ou le mazout de chauffage sont soumis à une TVA de 21 pc. Pourquoi ne pas la soumettre à un taux de 6 pc, comme d'autres produits de première nécessité ?

4. Revoir les avantages extralégaux. Les avantages extralégaux (voitures de société, pension extralégale, frais de représentation, etc.) accordés par une société à certains de ses salariés bénéficient d'un régime fiscal particulièrement favorable. On constate que dans les entreprises où des cadres supérieurs obtiennent de tels avantages dans leur pack salarial, ces cadres sont soumis à taux d'imposition égal, voire inférieur, à celui des cadres ou employés touchant des revenus plus bas mais ne bénéficiant pas de ces avantages.

Le principe de progressivité est donc biaisé au sein même d'une entreprise. À partir d'un certain niveau, plus le coût d'une voiture de société est élevé, plus l'avantage fiscal est important. Ainsi, une Porsche dont la charge pour l'entreprise atteindrait 35 000 euros par an ne donnerait lieu, dans le chef de l'utilisateur, qu'à un supplément taxable de 3 340 euros par an. Nous estimons que la taxation de tels avantages devrait coller au plus près du coût réel.

5. Modifier le mode de calcul de l'impôt communal. L'impôt communal est calculé sur base de l'impôt des personnes physiques. Comme ce dernier est progressif, on pourrait supposer que l'impôt communal l'est aussi. Mais le taux de cet impôt communal est généralement plus élevé dans les communes pauvres que dans les communes riches.

En effet, les communes abritant de hauts revenus pourront atteindre un niveau équivalent de recettes avec un taux plus modeste. Ce qui fait qu'à La Louvière, un habitant redevable d'un impôt de 10 000 euros envers l'Etat paiera un impôt communal de 10 000 x 8,5 pc = 850 euros. Tandis qu'à Lasne, une des communes les plus riches du pays, un habitant redevable d'un impôt de 15 000 euros envers l'Etat paiera un impôt communal de 15 000 x 5 pc = 750 euros (et même 0 euro s'il habitait à Knokke). Il est urgent de revoir ce mécanisme fiscal aberrant au profit d'un système qui garantirait une solidarité financière entre communes riches et moins riches.

Texte mis au point par le "Mouvement du 15 Décembre/15 December Beweging", avec le soutien des signataires suivants : Albert Patricia, Bachely Bruno, Baudson Bruno,, Briscolini Carlo, Brissa Didier, Corbisier Maurice, Coumont Raymond, Debry Francis, Dohet Julien, Fays Guy, Gelmini Gérard, Goblet Marc, Layeux Jean-Jacques, Leblon RonnyLéonard Jean-Marie, Lévèque Arnaud, Lévèque Pierre, Lootens Paul, Mathieu Freddy, Piersotte Jean-Marie, Pirquet Rudy, Ruttiens Henri-Jean, Tonon Thierry, Urbain Robert, Vandermeiren Ludwig, Van Hees Marco, Vermeersch Hendrik, Willems Martin.

(1) le Mouvement du 15 Décembre/15 December Beweging a été créé en opposition au Pacte (anti) Générations voté en décembre 2005 par le Parlement.

mercredi 20 février 2008

Le pouvoir d'achat comme écran de fumée

Ce mercredi 20 février, La Libre Belgique a publié une nouvelle carte blanche que je co-signe dans le cadre de mes activités au sein du collectif Le Ressort. Les autres signataires sont Minervina Bayon, Yannick Bovy, Didier Brissa, Isabelle Chevalier, Pierre Eyben, Raoul Hedebouw, Aïcha Magha, Michel Recloux et Olivier Starquit.

Depuis l'effondrement du Mur de Berlin, l'économie de marché nous est présentée comme l'horizon indépassable du bonheur des peuples, et c'est dans ce cadre aussi que l'on parle d'amélioration du pouvoir d'achat. Pour être heureux, il suffirait donc de pouvoir acheter sans entraves. Sans avaliser cette obligation compulsive d'acheter pour maintenir un modèle de société mortifère et sans soutenir cette conception productiviste de toute façon bloquée par les limites écologiques(1), force est toutefois de constater que les citoyens doivent disposer de moyens pour subvenir aux besoins de première nécessité, voire, pour améliorer leur bien-être et leur qualité de vie.

Le problème du pouvoir d'achat(2) - même si on remarquera à regret qu'il ne semble devenir préoccupant qu'à partir du moment où il concerne la classe moyenne alors que 17 pc de la population vit déjà sous le seuil de pauvreté - semble, en effet, faire l'objet d'une apparente unanimité : tout le monde le dénonce et chacun y va de sa mesurette : le gouvernement intérimaire n'a-t-il pas été constitué pour répondre aux problèmes des gens ? Concrètement, cela a donné une prolongation et un élargissement du chèque-mazout, une mesure qui, dans sa forme actuelle, relève plus de la charité que de la solidarité.

Entre autres choses, les syndicats présentent l'indexation automatique des salaires comme le bouclier ad hoc tandis que les organisations patronales plaident en faveur d'accords all-in. Cette dernière solution vide l'indexation automatique des salaires de tout sens, comme le révèle "De Tijd", qui explique que 500 000 ouvriers travaillant dans les secteurs de la métallurgie et de la construction vont voir leur salaire bloqué dans le cas, de plus en plus probable, d'une inflation cumulée supérieure à 5 pc. Devant cette bombe sociale, la fédération patronale Agoria n'a d'ailleurs pas tardé à réagir pour tenter d'expliquer combien il s'agissait d'une annonce alarmiste prématurée.

Indépendamment de ce débat, quelques réflexions s'imposent sur l'indice des prix à la consommation. Si la Belgique est, avec le Luxembourg, le seul pays à l'avoir maintenu, au grand dam de l'OCDE, ce n'est pas sans lui avoir fait subir une cure d'amaigrissement : rappelons le blocage de deux sauts d'index sous le gouvernement Martens-Gol dans les années 80 et sa conversion en indice-santé à l'époque du "Plan global" où certains produits comme le tabac, l'alcool et le carburant en ont été retirés.

Ces diverses interventions ainsi que la révision régulière du contenu du "panier de la ménagère" font que l'index ne reflète pas l'augmentation réelle des prix. Malgré cela, on annonce un nouveau saut d'index pour le mois de mars ou d'avril, soit seulement 3 mois après le précédent, signe indiscutable d'une explosion des prix. Les récents mouvements de grève dans le Nord du pays viennent confirmer cette inadéquation : la non-indexation réelle des salaires et des allocations sociales est responsable d'un appauvrissement du plus grand nombre. Un index réel serait, par conséquent, mieux à même de garantir la paix sociale et de rencontrer les besoins fondamentaux de la population.

D'autres dépenses préoccupantes sont celles relatives au chauffage et au loyer. D'aucuns proposent de fixer la TVA prélevée sur le mazout à 6 pc en tant que produit de première nécessité. La taxation indirecte étant l'impôt le plus injuste, "la" question est de savoir comment moduler cela avec la fin prochaine du pétrole et, par conséquent, avec une incitation (ou un préfinancement pour les citoyens les plus faibles) à se chauffer de la manière la plus soutenable pour la planète. Gageant que ce n'est pas seulement la nature mais aussi la quantité de consommation (pour une ressource finie) qui peut être considérée comme un luxe, faut-il moduler le taux de TVA de manière progressive en fonction de la consommation réelle (tout en veillant à instaurer un système de tiers-payeur afin d'aider les familles les plus modestes à isoler leur habitation) ? Serait-il envisageable de moduler le prix des loyers en fonction du niveau d'isolation du bâtiment loué ? Cela permettrait d'inciter les propriétaires à isoler leurs bâtiments et éviterait de pénaliser doublement les locataires d'immeubles mal isolés. Et si cela ne suffisait pas, n'est-il pas envisageable d'exiger un minimum d'isolation, vérifié par une expertise neutre, dans le cadre de la location d'un bâtiment ?

L'augmentation actuelle des prix à la consommation est surtout due à la hausse des prix des denrées alimentaires et des produits énergétiques. Un déséquilibre dans l'offre et la demande de ces produits sur le marché mondial est à l'origine de cette envolée des prix. Est-il dès lors bien raisonnable de laisser ces éléments essentiels de notre vie quotidienne entre les mains invisibles du marché (pour paraphraser Adam Smith) ? Un contrôle public renforcé des prix de ces produits, comme c'était le cas jadis pour le pain, nous paraît être une piste intéressante à suivre.

Indépendamment de ces considérations, deux constats peuvent être posés concernant le débat relatif au pouvoir d'achat.

Absence d'articulation globale. Les propositions sur la table sont très parcellaires et omettent toute articulation globale avec le modèle de société voulu, et ce, notamment en rapport avec le défi climatique. Ainsi, l'augmentation du pouvoir d'achat pourrait aussi être conçue comme une réduction des dépenses quotidiennes et une amélioration de la qualité de vie et pas nécessairement ou pas uniquement par l'augmentation du salaire-poche.

Il nous semble, en effet, peu concevable, à moins d'être prestidigitateur, de promettre en même temps une augmentation du pouvoir d'achat et une réduction des prétendues "charges sociales" (en fait le salaire différé constitué de la différence entre le brut et le net et qui permet de financer un ensemble de prestations en espèces ou en nature notamment sous forme de l'accès gratuit à un ensemble de biens ou de services collectifs).

En effet, parler de charges sociales surajoutées et qui alourdiraient le coût du travail revient à nier la nature de ces cotisations : une part intégrante du salaire dû par les employeurs aux salariés.

Conformément à la définition du salaire indirect esquissée ci-dessus, cette approche devrait être accompagnée d'investissements dans les transports en commun permettant une mutation vers une société de faible intensité énergétique, dans les services publics et plus particulièrement en ce qui concerne l'accès à l'éducation, dans les soins de santé, la mobilité, la production d'énergie alternative.

En outre, une réduction massive du temps de travail, sans perte de salaire (et permettant une meilleure redistribution de la richesse par la création d'emplois) contribuerait à cette amélioration de la qualité de vie qui se cache derrière le vocable passe-partout d'augmentation du pouvoir d'achat.

Le partage des richesses est le grand absent du débat. Cette redistribution des richesses doit bien évidemment également être placée dans une perspective internationaliste en apportant une réponse à la question suivante : comment arracher des milliards de personnes à la détresse du sous-développement sans les plonger dans un modèle productiviste de consommation à l'occidentale, néfaste pour la planète et mortel pour l'ensemble de l'humanité ?

Mais si l'on s'en tient au niveau belge, le mutisme médiatique et politique qui entoure le détournement des richesses est un véritable exploit permanent : la part du capital dans le PIB ne cesse de croître. (PIB qui, rappelons-le, a triplé au cours des 25 dernières années). Alors que celle des salaires, qui progressait tant que le rapport de forces était favorable aux travailleurs, n'a cessé de régresser depuis 25 ans : représentant 67 pc du PIB en 1980, elle flirte aujourd'hui avec la barre symbolique des 50 pc.

Au-delà du chipotage et des mesurettes où l'on change pour que rien ne change, c'est d'une véritable (r)évolution dont nous avons besoin. Un retour à une réelle progressivité de l'impôt (tranches supérieures à 50 pc), un impôt sur la fortune et sur le patrimoine immobilier, une taxation significative des transactions financières et des revenus mobiliers (une taxation de type Tobin-Spahn, par exemple) et sur les bénéfices des acteurs dans le domaine de l'énergie, la suppression des intérêts notionnels, la levée du secret bancaire, la lutte contre les paradis fiscaux..., les pistes ne manquent pas, nonobstant l'omerta médiatique et politique dont elles sont victimes.

Notes

(1) Voir Le Ressort, "Quand la quête éperdue de croissance tue la planète", "La Libre Belgique", 10 novembre 2007 et sur le site http://ressort.domainepublic.net

(2) Il serait sans doute utile de repenser le terme de "pouvoir" quand, le plus souvent, l'achat est réduit à un subtil asservissement induit et entretenu par la publicité.

lundi 4 février 2008

Mouvement Le Ressort


Depuis mars 2007, je fais partie d'un collectif qui se réunit chaque mois afin de discuter d'un thème en lien avec nos préoccupations. Cette réunion débouche sur un texte que nous envoyons aux médias pour publication comme carte blanche. Le succès de l'initiative est au rendez-vous puisque rare sont les textes qui n'ont été diffusés que sur notre site Internet où vous pourrez retrouver tous les textes repris ci-dessous.

  1. La grande gabegie de l’énergie (avec Michel Recloux et Olivier Starquit) in La Libre Belgique du 9 mars 2007
  2. Emploi jeune : supprimer l’allocation… ou l’attente ? (avec Eric Jadot, Michel Recloux et Olivier Starquit) in Le journal du mardi n°314, 3-9 avril 2007, p.21. repris par La Libre Belgique le 12 avril 2007, p.23.
  3. La réduction du temps de travail comme schibboleth (avec Didier Brissa, Eric Jadot, Michel Recloux, Olivier Starquit et Pierre Castelain). Diffusée sur Internet.
  4. Vers une nécessaire reconquista idéologique (avec Eric Jadot, Michel Recloux et Olivier Starquit) in Politique n°50 de juin 2007, pp.84-85.
  5. Alternance sans alternative (avec Didier Brissa, Michel Recloux, Olivier Starquit et Pierre Eyben). Diffusée sur Internet.
  6. Trustons l’enseignement (avec Laurent Petit, Michel Recloux et Olivier Starquit) in La Libre Belgique du 29 août 2007, p.29.
  7. On y croyait, on s’est battu, on avait raison, on a gagné (avec Eric Jadot, Laurent Petit, Michel Recloux et Olivier Starquit) in La Libre Belgique du 12 octobre 2007, p.28.
  8. Quand la quête éperdue de croissance tue la planète(avec Yannick Bovy, Didier Brissa, Pierre Eyben, Christian Jonet, Michel Recloux et Olivier Starquit) in La Libre Belgique du 10 novembre 2007
  9. Initiative publique indispensable (avec Yannick Bovy, Didier Brissa, Pierre Eyben, Christian Jonet, Michel Recloux et Olivier Starquit) in L’Echo week-end, du 15 décembre 2007, p.44.
  10. Pour un renouveau du service public (avec Minervina Bayon, Yannick Bovy, Didier Brissa, Pierre Eyben, Christian Jonet, Michel Recloux et Olivier Starquit) in La Libre Belgique, du 25 janvier 2008.
  11. Pour une initiative publique (avec Yannick Bovy, Didier Brissa, Pierre Eyben, Eric Jadot, Christian Jonet, Laurent Petit, Michel Recloux et Olivier Starquit) in Politique n°53 de février 2008, p.25.
  12. Le Pouvoir d’achat comme écran de fumée (avec Minervina Bayon, Yannick Bovy, Didier Brissa, Isabelle Chevalier, Pierre Eyben, Raoul Hedebouw, Aïcha Magha, Michel Recloux et Olivier Starquit) in La Libre Belgique du 20 février 2008, p.22
  13. Les mots détournés, outil de propagande (avec Isabelle Chevalier, Pierre Eyben, Christian Jonet et Olivier Starquit) in La Libre Belgique du 21 avril 2008, p.28
  14. Démocratie unijambiste et sans cœur (avec Didier Brissa, Christian Jonet, Michel Recloux et Olivier Starquit) in La Libre Belgique du 23 mai 2008, p.34
  15. Mais où est donc passé Robert Ménard ? (avec Didier Brissa, Michel Recloux, Olivier Starquit et Pierre Eyben). Diffusé sur Internet
  16. La précarité comme modèle de société (avec Minervina Bayon, Didier Brissa, Isabelle Chevalier, Alice Minette, Michel Recloux et Olivier Starquit) in La Libre Belgique du 21 août 2008, p.33
  17. Il en va de la « crise » du logement comme de la « crise » économique (avec Didier Brissa, Isabelle Chevalier, Michel Recloux et Olivier Starquit) in La Libre Belgique du 24 septembre 2008, p.31 (mention également en p.1)
  18. Tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais, ouais ! (avec Didier Brissa, Isabelle Chevalier, Michel Recloux et Olivier Starquit). Diffusé sur Internet.
  19. Abolir le capitalisme. Une course contre la montre (avec Yannick Bovy, Didier Brissa, Aïcha Magha Alice Minette, Olivier Starquit et Karin Walravens) in La Libre Belgique du 3 novembre 2008, p.28
  20. La crise et la « gauche » (avec Yannick Bovy, Pierre Eyben, Raoul Hedebouw, Eric Jadot, Laurent Petit, Michel Recloux, Olivier Starquit et Karin Walravens) in La Libre Belgique du 10 décembre 2008, p.27.




mardi 29 janvier 2008

Nouveau FN, vieille idéologie

Cet article a été publié dans le n°43 de janvier-février-mars 2008 de la revue Aide-mémoire, p.7

On peut retrouver la liste de mes articles publiés dans cette revue ici

La fin de l’année 2007 a été marquée par l’apparition d’un nouveau parti d’extrême droite en Belgique. En effet, profitant des ennuis judiciaires successifs de Daniel Féret, une partie des cadres et des élus du FN ont fait une (énième) scission. Mais cette fois-ci ils ont réussi à garder le nom, le sigle et le logo, éléments capitaux dans le cadre de leur ambition de conquérir un vaste électorat aux élections de 2009.
Droite et Modernité
Ce nouveau parti était en gestation depuis plusieurs mois via le cercle Droite et Modernité apparu fin 2005 au sein du FN et qui regroupait les « durs » de ce parti. L’organe de Droite et Modernité était alors A Droite[1]. C’est justement les trois premiers numéros de ce périodique, s’étendant d’octobre 2005 à juin 2006 et faisant chacun 48 pages, que l’on retrouve téléchargeable en format PDF sur le site du nouveau parti[2].
A Droite est sous-titré La Lettre politiquement incorrecte du sénateur Michel Delacroix. Ce dernier signe les éditoriaux et apparaît en couverture de l’organe. Deux autres cadres historiques de l’extrême droite francophone sont fort présents : Charles Pire et Patrick Sessler, ce dernier signant les textes les plus doctrinaux. On retrouve également une chronique accordée à l’«Alliance Bruxelles contre le déclin », groupuscule poujadiste servant de paravent francophone au Vlaams Belang à Bruxelles, et dont les textes se distinguent par leur pauvreté de contenu comme de ton.
La liberté d’expression
Le thème le plus développé dans les trois numéros, et ce dès le premier éditorial, est la dénonciation de la législation belge qui limite la liberté d’expression en empêchant les partis de la « droite nationale » de s’exprimer[3]. La longue interview du leader du Front National Bruno Gollnisch tourne d’ailleurs quasi exclusivement autour de cette question[4]. Parlant de la situation en Belgique, et plus spécifiquement du procès contre le Vlaams Block, il dénonce le fait que : « Ce qui est extrêmement grave dans la décision de ces magistrats belges, c’est qu’ils s’arrogent le droit, au mépris de la séparation des pouvoirs, de dire ce qu’une formation politique a le droit ou n’a pas le droit de proposer. »[5]. Le procès intenté contre le Vlaams Block est particulièrement développé, « On assiste à la poursuite d’une stratégie de déni systématique d’un droit aussi fondamental que la liberté d’expression »[6]. Ce que confirme le député Filip De Man, par ailleurs membre de l’aile dure du VB, lors d’une conférence-débat « La Belgique a écrit une triste page d’histoire en persécutant le Vlaams Blok et en faisant condamner notre parti par les tribunaux. Dans une véritable démocratie, on n’intente pas de procès contre ses adversaires politiques »[7]. Et Delacroix dans remettre une couche : « Une des grandes victoires de la démocratie consisterait donc à permettre au pouvoir judiciaire de décréter que l’opinion de certains électeurs serait infractionnelle »[8]. A l’inverse le premier amendement américain ou la grande tolérance anglaise sont citées en exemple : « Les conditions d’admission du National Front (…) tomberaient immanquablement sous le coup de la loi en Belgique : « … être blanc, avoir pour compagne une blanche, ne pas être homosexuel, ni usager de drogue… ». »[9] Outre la législation, le rôle des médias dans ce black-out médiatique est dénoncé[10].
Le rejet de l’autre
Ces lois n’ont pas, pour l’extrême droite, comme seule fonction de les interdire de parole : « Nous observons également que les lobbys du multiculturalisme s’appuient sur ces lois dites « antiracistes », en réalité antinationales, pour insinuer leur vision totalitaire au cœur de la société »[11]. Car le péril qui guette la Belgique est bien entendu l’immigration, et plus particulièrement celle de ressortissants de confession musulmane. Patrick Sessler traduit d’ailleurs un dossier du VB très fouillé et documenté sur la politique d’immigration du Danemark[12]. L’immigration est présentée comme un véritable péril. Dans un article intitulé « Insurrection allochtone en France ou la douleur d’avoir eu raison avant tout le monde »[13] on annonce une future guère civile en Europe, ce que Filip De Man confirme lorsqu’il dit qu’« (…) il faudra une atmosphère que je qualifierai de pré-révolutionnaire pour que la droite nationale accède au pouvoir (…) quand la révolte islamique dans nos villes deviendra une vraie guerre civile »[14]. Dans un autre texte au titre tout aussi évocateur de « Bruxelles : ville arabophone et turcophone ? »[15] on affirme que « Nous l’avions dit, nous l’avions écrit. Aujourd’hui, c’est presque une réalité. Il est bien question de reconnaître l’Arabe comme quatrième langue officielle du royaume de Belgique. »[16]. La question de la régularisation des sans-papiers vaut évidemment plusieurs articles véhéments. Charles Pire donne à cette occasion son explication au mouvement : « L’enjeu pour les socialistes francophones, c’est le maintien de leur leadership. Il est pour eux de la plus haute importance de remplacer les nombreux électeurs qui les quittent (notamment pour la droite nationale) par des allochtones (…) Le phénomène crève les yeux à Bruxelles où, dans ce parti, les parlementaires issus de l’immigration sont majoritaires »[17]. Après cela, faut-il s’étonner qu’A Droite est contre l’entrée de la Turquie dans l’Europe ?, reprenant au passage la propagande des identitaires d’Alsace d’abord.[18]
L’ennemi PS
Cette citation nous permet de faire le lien avec le troisième grand thème développé : la dénonciation du parti socialiste. Il s’agit là de l’ennemi politique principal qui se voit attaqué dans presque tous les articles car « Le PS se comporte en parti unique dans une Etat totalitaire, disposant d’une RTBF entièrement à sa solde et des tentacules dans toutes les strates de la société, y compris dans les autres partis de l’establishment. »[19] Une des cibles favorites étant « le clan familial Onkelinckx »[20]. Le PS est considéré comme une maladie qui gangrène la Wallonie, avec des titres comme celui d’un édito de Delacroix « Le socialisme est une maladie honteuse, mais pas incurable »[21], et la mène à sa perte : « Le PS et ses complices chrétiens démocrates ou libéraux ont totalement asservi la Wallonie à leurs utopies dirigistes, identiques à celles qui ont mené à la chute du mur de Berlin »[22]. Les autres partis sont donc complices, y compris en Flandre comme le dit Filip De Man : « le parti libéral – aussi bien côté flamand que côté wallon – est gangrené par des sous-marins de gauche, les démocrates-chrétiens flamands sont à la botte du syndicat ACV (le MOC, en plus grand) et leurs collègues francophones sont présidés par une mégère qui essaie de dépasser les Ecolos par la gauche »[23]. Cette conception de l’infiltration par les socialistes de tous les autres partis revient à plusieurs reprises : « Les socialistes qui nous gouvernent (mal !), qu’ils soient du PS, d’Ecolo, du CDH ou du MR, comprendront-ils un jour que les entreprises se gèrent toujours dans un souci de rentabilité et que cette rentabilité ne peut se développer que dans la liberté, la souplesse et dans un climat fiscal raisonnable et même favorable. »[24]
Un parti de droite
Nous en arrivons à ce stade de l’analyse à un des éléments les plus intéressants politiquement. En effet, loin de se positionner comme une troisième voie[25], le nouveau parti de Delacroix se positionne clairement comme le seul représentant d’une vraie droite, d’une droite nationale. Le titre de son organe est déjà significatif, tout comme le logo qui l’accompagne représentant un éléphant, c’est-à-dire le symbole du parti républicain aux USA. Les choses sont d’ailleurs claires dès le premier éditorial : « nous avons décidé de créer une revue délibérément identitaire à vocation internationale. Son nom n’est évidemment pas innocent. Notre encrage est clairement à droite, sans complexe et sans tabous »[26]. Ce positionnement est développé dans un article idéologique de Patrick Sessler[27] qui rappelle que « (…) le concept de « droite nationale » est repris par quasi l’ensemble des partis politiques européens qui représentent quelque chose (…). C’est une manière de se reconnaître et d’affirmer son appartenance à une même famille de pensée »[28]. On retrouve d’ailleurs une série de positions classiques de la droite comme la critique des syndicats et la volonté de leur donner une personnalité juridique[29], l’indignation face à la possibilité d’avoir un cadastre des fortunes en Belgique[30] ou une taxation des plus-values boursières[31]. Le positionnement est une défense absolue de la liberté d’entreprendre qui doit être sans entrave et une dénonciation de la pression fiscale. Delacroix reprend d’ailleurs Milton Friedmann et son « il n’y a pas de liberté politique sans liberté économique préalable »[32].
Une idéologie bien connue
On retrouve là un positionnement de l’extrême droite que nous avons déjà expliqué dans cette chronique. Et ce n’est pas le seul. Ainsi, la critique du PS est-elle plus largement la critique inévitable du marxisme : « La « démocratie » et les « droits de l’hommes » sont tronqués, instrumentalisés et violés par une famille de pensée qu’on avait cru balayée par l’Histoire depuis la chute du Mur de Berlin. Force est de reconnaître que le marxisme est loin d’être extirpé de nos sociétés européennes. Les crypto-marxistes d’aujourd’hui n’ont jamais autant pesé sur l’occident »[33]. Car le complot marxiste est clair : « Il est évident que ce mouvement (celui des sans-papiers) n’est pas spontané (…) Ils sont encadrés par des professionnels de la subversion camouflés sous des labels de collectifs quelconques. Ceux qui poussent l’observation auront repéré autour des immigrés clandestins divers militants communistes, trotstkistes et anarchistes. »[34] Il est également très vaste, s’étendant à l 'Europe : « Les hommes politiques de tous les bords qui veulent ériger « l’Union Européenne » veulent que cette Europe soit nettement matérialiste, irréaliste et d’obédience agnostique, sinon maçonnique »[35].
Face à cette menace, il existe heureusement des gens qui luttent comme Bruno Gollnisch dont la présentation reprend les classiques de celle d’un leader d’extrême droite : « Dès son entrée à la faculté de Nanterre à 17 ans, il assiste au saccage, en 1968, par des jeunes bourgeois gauchistes, des universités nouvellement construites grâce au sacrifice de tous les Français, même les plus modestes. En 1971, il interrompt ses études et résilie son sursis pour rejoindre la Marine Nationale. (…à une période où) il comprend l’horreur du marxisme et des idéologies révolutionnaires. »[36]. Ou comme l’avocat Eric Delcroix, petit neveux de Léon Daudet[37], qui a publié un « essai révolutionnaire contre l’ordre moral antiraciste (…) le manifeste libertin revendique la liberté de conscience et rend sa légitimité à la loi immémoriale du sang (… Eric Delcroix y) appelle ses frères européens à libérer leur génie prométhéen de l’aliénation de l’antiracisme obsessionnel »[38]. Les positions traditionalistes sont également reprises, principalement à l’encontre des homosexuels[39] et en faveur de la famille avec le relais des positions du groupuscule Belgique et Chrétienté d’Alain Escada, mais aussi en faisant référence à « l’héritage spirituel de Saint Benoît »[40]. Un auteur comme Alain de Benoist et le concept de métapolitique sont bien entendu également présent[41].
« Il appartient à notre famille politique de continuer à opposer notre « vision du monde » à la leur »[42]. Cette phrase de Michel Delacroix est éclairante. D’une part, elle confirme qu’il s’inscrit dans un courant politique ancien qui remonte au refus des Lumières et de la Révolution Française : « Tout était dit et les éléments de notre droit positif y trouvaient tous leur compte y compris l’équité et le droit, tout au moins avant que celui-ci soit sodomisé par Jean-Jacques Rousseau et ses succédanés du Comité de Salut Public de la Révolution française. »[43] Ce qui vaut également un article sur Edmund Burke qui « (…) s’opposa avec force à la philosophie des Lumières ainsi qu’à la Révolution française, dès son début. (…) Ses Réflexions sur la révolution en France (1790), ouvrage lu dans toute l’Europe, le posèrent en défenseur de l’ordre établi, produit du droit naturel que le rationalisme n’était pas en mesure de modifier. »[44] D’autre part il indique que le FN a une vision du monde particulière basée sur le respect des lois dites naturelles, d’un darwinisme social, fondement d’une société inégalitaire et hiérarchisée. Ce que confirme Patrick Sessler lorsqu’il dit qu’il faut « (…) éliminer du champ politique le primat actuel de l’idéologie égalitaire en lui substituant le droit naturel, les valeurs et les cadres de références de la civilisation européenne »[45].
Ainsi, comme nous venons de le voir, ce « nouveau » Front National n’a de neuf que la disparition de Daniel Féret et l’ambition de faire un parti politique efficace et non un tiroir caisse à des fins privées. Idéologiquement ses assises sont anciennes et confirme qu’il reste un parti d’extrême droite dont les idées sont conformes à celles que nous analysons dans cette rubrique.

Notes
Un petit problème m'empêche de placer les notes. J'espère le résoudre très rapidement


vendredi 25 janvier 2008

Pour un renouveau du service public

Ce vendredi 25 janvier, La Libre Belgique a publié une nouvelle carte blanche que je co-signe dans le cadre de mes activités au sein du collectif Le Ressort. Les autres signataires sont Minervina Bayon, Yannick Bovy, Didier Brissa, Pierre Eyben, Christian Jonet, Michel Recloux et Olivier Starquit.

Pour tout progressiste, la défense et le développement – il ne s’agit pas seulement de limiter la casse mais bien d’inverser la tendance actuelle - de services publics de qualité doit constituer un – sinon « le » - combat majeur pour les années à venir.

Jadis, la gauche mais également la droite, considéraient avec sagesse certains secteurs économiques et sociaux comme trop importants pour en confier la gestion aux intérêts privés, estimant qu'il était pour le moins hasardeux de les soumettre aux aléas du marché. Tirant le bilan au lendemain de grandes crises (crise économique de 29, Seconde Guerre mondiale,...), gauche et droite reconnaissaient à un acteur public fort un rôle de garant de l'intérêt collectif et de tampon économique et social permettant d'éviter les crises financières et de tirer à la hausse la norme salariale. Qui se rappelle que la France nationalisa ses mines en 1945 ? Et, par la suite, jusqu'en 1983, les transports aériens, la banque de France et les grandes banques et compagnies d'assurance du pays, le gaz et l'électricité, de grandes industries (Renault, Thomson, Usinor, Rhône-Poulenc,...), etc.

Aujourd'hui, le moins que l'on puisse dire est que la tendance s'est inversée : à part dans des pays comme la Bolivie, le Venezuela ou l'Equateur, qui ont récemment relancé des processus de (re) nationalisations pour reprendre le contrôle de leurs ressources naturelles et de leur économie, on assiste en effet à l'accélération et à l'extension d'un processus de marchandisation généralisée de la société, qui s'accompagne d'offensives de plus en plus violentes sur les services publics.

Ce phénomène date des années 80. Alors que les puissances occidentales voyaient se ralentir l'expansion économique acquise au détriment des pays dits en voie de développement - notamment via l'engrenage de la dette, qui aujourd'hui encore maintient ces pays sous le joug d'une pauvreté extrême et des diktats néocoloniaux du FMI et de la Banque mondiale - elles se lancèrent à la conquête de marchés nouveaux et juteux au sein de leurs propres économies, et privatisèrent à tour de bras. La motivation de ce changement de cap économique fut purement idéologique. Elle fut théorisée par des think-tank ultralibéraux et mise en oeuvre par des dirigeants qui leur prêtaient une oreille plus qu'attentive, tels Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Grande-Bretagne et Etats-Unis furent ainsi les fers de lance de cette dynamique, mise en oeuvre avec le renfort de grands organismes transnationaux.

Aujourd'hui, on ne compte plus le nombre de catastrophes sanitaires et sociales nées de cette logique mortifère. On se souvient de la désastreuse déliquescence des secteurs du rail en Angleterre ou de l'électricité aux Etats-Unis... Toutefois, rien ne semble freiner la tendance frénétique à libéraliser et privatiser tous les pans encore publics de la société (énergies, télécommunications, postes,...).

En Europe, la façon la plus classique d'imposer la privatisation de certains services publics consiste à ouvrir à la concurrence - on dit "libéraliser", même si cela a peu à voir avec une quelconque libération - le secteur dans lequel ils opèrent. Mis en concurrence avec des opérateurs aux pratiques sociales moins regardantes, il ne leur reste alors qu'à s'aligner ou disparaître.

Une autre façon de procéder consiste à les sous-financer de manière chronique, afin de quasi automatiquement "organiser" leur dysfonctionnement avant d'inciter la vox populi à réclamer leur privatisation. On peut également procéder à un "saucissonnage" de certains secteurs publics - cas de la SNCB ou encore récemment du secteur du gaz et de l'électricité [1] afin de les privatiser pour partie. Le plus souvent, les parties privatisées sont évidemment les plus rentables.

On constate également une privatisation larvée de nombre d'organismes publics ou partiellement publics. Par exemple, si La Poste belge est encore publique pour 50 pc + 1 action, sa gestion, confiée à un ancien dirigeant du trust financier acquéreur, et auquel un salaire de près d'un million d'euros annuels est alloué, a pour sa part clairement quitté la sphère du service rendu à la population. La Poste a aujourd'hui opté pour une stratégie de business marketing . Les fermetures de bureaux se succèdent, on les remplace - au mieux - par des franchisés, le nombre de boîtes aux lettres publiques diminue , les agents statutaires sont remplacés par des intérimaires, les conditions de travail se dégradent, le prix des timbres augmente,...

Actuellement, les représentants de la "puissance publique" aiment vanter les mérites des partenariats public-privé. Pourtant, ceux-ci consistent souvent en un financement détourné d'acteurs privés. Un exemple marquant est celui des "titres services". L'usager paie 6,2 euros par titre, la Région 13 euros et le travailleur touche 10 euros. La différence finance une entreprise d'intérim privée à qui l'on confie la gestion de ces emplois de service. Pourquoi ne pas directement créer de l'emploi public ?

Les services publics devraient être considérés comme des biens publics, des biens appartenant à la collectivité, au patrimoine commun des peuples [2]. On constatera à regret que le nouveau Traité de Lisbonne, copie conforme du projet de Constitution européenne (pourtant majoritairement rejeté en 2005 par les populations en France et aux Pays-Bas), ne reconnaît même pas cette notion de service public.

Il nous semble donc vital et urgent de définir une série de secteurs et de services qui doivent être gérés par la puissance publique. Parmi ceux-ci (liste non-exhaustive) : le transport (et les infrastructures), l'énergie (gaz, électricité), l'enseignement, les soins de santé et les services aux personnes, le logement social, la poste, les télécommunications, ou encore un média public (télévision et radio) à financement public (et donc exempt de publicité). Les fonctions régaliennes de l'Etat doivent elles aussi être maintenues hors de toute logique de marché. On voit par exemple aux Etats-Unis les conséquences désastreuses de la privatisation des établissements pénitenciers.

Au-delà des services publics, il nous semble également indispensable de revendiquer la primauté de l'action publique dans d'autres secteurs que celui des services, comme par exemple celui de la culture, ou l'industrie du médicament, l'agriculture, les ressources naturelles (eau, matières premières, forêts,...), etc.

Le bâton capitaliste, l'épée de Damoclès sociale, la précarisation structurellement organisée que le monde privé fait en permanence peser sur les citoyens et les travailleurs ne nous semblent pas dignes d'une société solidaire, émancipatrice, véritablement démocratique. On ne bâtit pas dans l'exploitation. C'est pour cela que nous défendons également des services publics charpentés autour d'agents statutaires, qui peuvent compter sur une certaine indépendance par rapport à leur employeur.

Cela ne nous empêche pas de rester critiques sur la façon dont les services publics fonctionnent parfois. Il est important d'aller vers moins de bureaucratisme, moins de centralisation, moins de politisation dans leur fonctionnement. En particulier, nous prônons une refonte complète du mode actuel de recrutement, par trop tributaire du rapport de force politique.

Un autre enjeu important qui nous semble devoir être pris à bras-le-corps par les progressistes européens est celui du développement d'initiatives industrielles publiques et de services publics européens. Par exemple, le ferroutage qui, étant donné la raréfaction du pétrole et l'urgence de réduire drastiquement la pollution provoquée par le transport routier, sera amené à jouer un rôle important dans le transport dans les années à venir, devrait s'inscrire dans une relance de l'initiative publique au niveau de l'Europe.

La libéralisation n'est que la liberté du plus fort. Préférons-lui la liberté de pouvoir compter sur des services publics qui nous rendent tous plus forts.

[1] Le Ressort, "La grande gabegie de l'énergie" et "Une initiative publique indispensable", sur http://ressort.domainepublic.net.

[2] http://www.france.attac.org/spip.php?article3471.