Avertissement aux lecteurs : ce texte est en partie un billet d'humeur. Son style en sera donc peut-être quelque peu différent des autres textes présents sur ce blog. Il se peut donc qu'il soit retravaillé dans les jours qui viennent. Pour des raisons de droit, il ne sera cependant pas illustré.
La problématique de la négation des luttes sociales et des conquêtes qu'elles ont permises pour l'amélioration des conditions de (sur)vie des plus faibles est au centre de divers travaux que j'effectue depuis plusieurs années. J'y ai consacré ma communication réalisée à l'occasion d'un colloque sur "Expérience et mémoire. Partager la diversité du monde en Français" qui s'est tenu dans le cadre du sommet de la francophonie à Bucarest du 11 au 16 septembre 2006. Le contenu de cette intervention intitulée On ne peut faire table rase des luttes sociales en Wallonie sera bientôt publié en ligne par les organisateurs et fera l'objet d'un nouvel article sur ce blog. En attendant, vous pouvez écouter les différentes interventions ici. J'ai également publié dans la rubrique Hors d'oeuvre de la revue Politique n°46 d'octobre 2006, p.6 un texte intitulé la fait diversification de l'histoire qui revenait sur la couverture du cinquantième anniversaire de la catastrophe du Bois du Cazier de Marcinelle.
Je parle de ces textes aujourd'hui car pour mon anniversaire, mon épouse m'a offert le livre de Michel Elsdorf et Yannick Delairesse, Mines et mineurs de Wallonie. Vie quotidienne - coutumes -catastrophes édité à Liège par Noir dessin production (maison d'édition spécialisée dans le régionalisme wallon, principalement liégeois) en 2006. Comme souvent avec les livres de cette maison d'édition, cet ouvrage a pour principal intérêt sa très riche illustration qui permet de bien survoler les divers aspects liés aux mineurs. S'il faut y reconnaître aussi que pour une fois on parle quasi exclusivement des femmes, des enfants et des hommes et non des machines et du charbon ce livre n'échappe malheureusement pas au défaut d'une certaine vision idéalisée du passé adoucissant largement la dramatique réalité dont les photos ne seront jamais qu'un pâle (mais oh combien précieux) témoignage. Outre les cinq pages sur la monarchie, plusieurs commentaires sont proprement hallucinants comme celui-ci accompagnant une gravure typique de la presse de l'époque p.98 : "Au XIXe siècle, la bourgeoisie s'émut des conditions de vie épouvantables des mineurs. Les dames de bonne société prirent l'habitude de rendre visite aux femmes et aux veuves des mineurs afin de leur apporter un peu de réconfort". Bref une charité totalement désintéressée qui n'est bien entendu pas la conséquence des nombreuses grèves et manifestations qu'il vaut mieux éviter... Plus grave à la p.79 pour commencer la série, comprenant au demeurant de très belles photos, sur le travail des enfants et des femmes : "apprentis-mineurs au charbonnage de Wérister dans les années 1930. Ils étaient âgés de 12 ans à peine et leur première expérience avec la mine était souvent traumatisante. Seuls les plus forts et les plus courageux restaient au charbonnage"... Quelqu'un de plus informé sur les conditions sociales de l'époque aurait certainement écrit que s'ils restaient, c'est qu'ils n'avaient guères le choix. Rappelons qu'avant 1889 il n'y avait pas réellement d'âge minimum pour l'admission comme mineur. Ainsi le futur député du POB Joseph Wettinck commença-t-il à l'âge de 9 ans !
Mais ce qui m'a clairement choqué dans ce livre est l'absence d'évocations des nombreuses luttes et grèves d'une profession qui sera longtemps le fer de lance de la classe ouvrière notamment dans la revendication pour la réduction du temps de travail et pour une meilleure législation (pour peu que celle-ci existait) sur les accidents de travail, deux revendications qui touchaient bien entendu au plus près la vie quotidienne de ces forçats. A propos des catastrophes minières, si elles sont bien illustrées, il faut noter qu'elles sont présentées comme le résultat de la fatalité ou de la malchance et non de la soif de profit des patrons miniers. Mais revenons à l'absence des luttes et grèves. En fait, c'est même pire qu'un oubli puisque deux pages et quatre photos leurs sont "gracieusement" accordées. Mais c'est pour mieux les décridibiliser. Si la quatrième photo n'amène pas de remarque, les trois autres valent le détour.
Ainsi la première est légendée ainsi "Van Belle et Biewa, les deux "vrais" promoteurs de la grève des mineurs dans les bassins de Liège et de Seraing en 1910-1911. ils posent pour la postérité mais nul ne saura jamais si ces deux messieurs en pardessus étaient de vrais mineurs ou de simples "meneurs de grèves"". On appréciera particulièrement les guillemets mis à deux reprises, et plus particulièrement les premiers. Pour les deux noms, je vérifierai dans les jours qui viennent mais la région liégeoise connu au moins deux dirigeants socialistes du nom de Van Belle (les frères Charles et François, menuisiers de professions et déjà mandataires socialistes communaux dans les années 1910 avant d'occuper d'autres fonctions politiques et syndicales). La suivante est du même acabit : "Il faut croire qu'à cette époque il était vraiment important de se revendiquer comme promoteur de grève car voici une autre ancienne carte postale vantant les mérites de ces personnes : les deux vrais promoteurs de la grève des mineurs et leur comité de soutiens. Vous constaterez que les deux hommes qui se trouvent juste au-dessus du tableau noir sont les mêmes que ceux de la photo ci-contre (les moustaches sont cependant moins longues !)".
Plusieurs remarques importantes :
1° On évite ici les guillemets à mérite, ce qui n'enlève rien au ton méprisant et dénigrant du commentaire.
2° Il est normal que les grévistes laissent un témoignage de leurs actions, d'autant que ces photos étaient souvent vendues en soutiens des grévistes et permettaient de faire de la propagande.
3° Il est classique que pour ce type de photo les grévistes "s'endimanchent". Ils faisaient de même lors des grandes manifestations comme celles du 1er mai.
4° Les deux photos datant de la même époque et portant sur la même industrie d'une même région, il est normal d'y voir représenter les deux mêmes dirigeants syndicaux, surtout pour la deuxième où ils sont en groupes et dans un but de propagande.
5° quant à la longueur des moustaches...
La troisième photo est du même acabit, mais cette fois ci le commentaire souligne que "s'il y avait des "promoteurs de grève", il y avait également des victimes de ces grèves... peut-être des ouvriers qui voulaient travailler et que les grévistes appelaient blanke-panse (ventre-blanc), djène (jaune), Baptiste, foke (phoque) ou rodje-nez (nez-rouge)". Outre à nouveau les guillemets destinés à susciter le doute sur la réalité de l'affirmation, on ne peut qu'être révolté par ce type de commentaire que l'on croirait dicté par un exploiteur du 19e mais que ne renierait pas la FEB aujourd'hui.
Je terminerai en précisant que ce n'est pas les documents sur les grèves et les luttes des mineurs qui manquent, même si ce n'est pas l'abondance. Ainsi il existe une très belle série de cartes postales sur une grève au Hasard, dont une notamment d'une manifestation précédée d'une harmonie. Bref, s'il est clair que ce type de livre n'a pas pour vocation de posséder une critique historique pointue et n'est pas acheté pour cela, on pourrait en attendre une totale neutralité et non, comme c'est le cas ici, une insulte aux travailleurs qui ont luttés durement, et parfois sont morts, pour permettre à tous de travailler et de vivre dans de meilleures conditions. C'est cela aussi ce souvenir. C'est cela aussi, et à mon sens surtout, rendre hommage à ces hommes, ces femmes et ces enfants !
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